Page:Marguerite de Navarre - L’Heptaméron, éd. Lincy & Montaiglon, tome I.djvu/66

Cette page a été validée par deux contributeurs.
52
ORAISON FUNÈBRE

de Marguerite, laquelle un chascun peut contempler & congnoistre, mesmes en cest exemple que présentement vous ay récité, que respondroit il ? L’ethnique Socrate ou le fidèle Job seroient de nous grandement loués si nous lisions d’euls un acte semblable. Combien plus doibt il estre prisé en une femme, dont le sexe pourroit excuser toute pusillanimité, tant grande fust elle ?

Mais je vous veuls encores dire un aultre exemple de rare pieté, force & constance, qui se trouve en Marguerite ; car, comme sa fille Jheanne estoit trèsgrièvement malade en la royalle Maison du Plessis lès Tours, & le bruict fust à la Court, estant lors à Paris, que ceste bonne Princesse tendoit à la mort, la vertueuse mère Marguerite, sur les quatre heures du soir, commanda luy admener sa lectière, disant qu’elle vouloit aller vers sa fille & que chascun des siens délibérast de partir. Il n’y avoit rien prest ; les Officiers & serviteurs estoient absents & équartés, tant par la ville de Paris que par les villages ; il estoit desjà basse heure, car ce fut au plus courts jours ; le temps estoit aussi contraire pour la pluye, & ne sa lectière ne ses mulets de coffres n’estoient là auprès. Cela veoiant, la courageuse Royne emprunta la lectière de Madame Marguerite, sa niepce, se met dedans &, contente de petite compaignie, déloge de Paris & s’en va jusques au Bourg la Royne.

Quand ils furent là venus, ne s’en alla descendre à son logis, ains alla tout droit à l’Eglise, où, ainsi qu’elle vouloit entrer, dist aux assistants que le cœur luy signifieoit je ne sçay quoy de la mort de sa fille, & les priea tous affectueusement se retirer &, pour une petite heure, la laisser seule au Temple. Tous luy obéissent &, en grand ennuy, attendent leur maistresse à la porte de l’Eglise. La