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DE MARGUERITE DE NAVARRE

par leurs lamentations combien de calamités & d’infortunes leur convenoit endurer au Monde, mais qu’ils espandent toutes sortes de fleurs sur les corps des trespassés, les portent au sépulchre en mélodie & célèbrent leurs funérailles en incrédible resjouissance, voulants ainsi donner entendre le bien & la félicité des morts.

Veoiant donc la prudente Royne que telle force & constance avoit esté en ceuls qui, oultre ce qu’ils estoient barbares, n’avoient aussi aulcune espérance d’une meilleure vie après la mort corporelle, elle considéroit en son esprit les Chrestiens devoir estre trop plus contants qu’euls, veu mesmement qu’ils hont desjà une certaine espérance de l’imortalité, qui nous est acquise par le sang de Jésus, duquel la trèsheureuse victoire, qu’il emporta en la Crois sur la Mort ensepvelie & sur Sathan vaincu, prommet un glorieus triumphe à ceuls qui attendent à son advènement la résurrection de leur corps & ensemble la prommesse de la vie éternelle. C’est la cause pourquoy Marguerite, contre la coustume de toutes les aultres femmes, porta constamment, & sans aulcune testification de douleur, la mort de son fils, lequel elle sembleoit devoir pleurer à cry & lamentation pitoyable. Davantaige, elle sçavoit trèsbien qu’elle ne devoit pleurer son enfant, l’esprit duquel estoit entre les mains de Celuy qui avoit crié sur la terre : « Laissés venir les enfants à moy. » Et pource, après qu’elle eut par une Chrestienne consolation conforté le roy Henry, son mary, par tous les coings des carrefours de nostre ville, vous scavés, ô Alençonnois, que je dy vérité, elle feist attacher des pappiers où estoient escriptes ces parolles : Le Seigneur l’avoit donné, le Seigneur l’a osté.

Maintenant je vous demande, ô Alençonnois, si l’on interrogeoit quelcun de vous qu’il luy semble de la patience