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DE MARGUERITE DE NAVARRE

mort trèscruelle luy estre apprestèe. Ne louerons nous Marguerite qui ne doubla point d’abandonner sa liberté & sa vie au Prince victorieus, de la volunté & délibération duquel n’estoit encores asseurée ? Il est escript que Persée délivra de mort & de péril Andromède, exposée à un monstre marin ; Luculle Cotte, estant assiégé dans Chalchedone ; Balsacie Calphurne le gras, qui estoit pareillement condamné d’estre immolé. Mais il nous fault avec euls mettre Marguerite, par la prudence de laquelle le mariage de son frère François & d’Alienor fut faict, sans lequel nostre bon Roy fust mort en captivité & jamais n’eust esté rendu aux siens.

Ô France, que tu es obligée à Marguerite, qui avoit cerché une telle Royne à ton Roy, Royne, dy-je, que personne ne me contredira devoir estre nombrée au rolle des illustres femmes qui ont par leur vertu consacré & dédié leur nom a l’immortalité.

Que si vous désirés en Marguerite un aultre exemple d’une force & magnanimité rare, je vous en proposeray un qui est domestique & duquel, vous, ô Alençonnois, pourrés estre tesmoings. Que peut-il arriver aux parents, mesmes à la mère, qui leur soit plus aigre, plus ennuieus, plus triste & plus dur à porter que d’estre privés de leurs enfants, & encor enfants uniques ? Et, si nous veoions que non seulement ne s’émeuvent d’entendre si facheuse & moleste nouvelle, mais aussi asseurent & consolent les aultres, qui les vont visiter pour leur donner quelque consolation, les dirons nous estre cruels & havoir le cœur endurcy comme un rochier, ou si plus tost les appellerons forts & magnanimes ? Pour ceste cause, grand honneur jadis acquirent Anaxagore, Bibule, Antigone, Rutilie, Symphorose, Félicité & Sophie, car la mort de leurs en-