Page:Marguerite de Navarre - L’Heptaméron, éd. Lincy & Montaiglon, tome I.djvu/53

Cette page a été validée par deux contributeurs.
39
DE MARGUERITE DE NAVARRE

ton escrit, & la bonne érudition est gardée, elle rend les esprits bons, & les bons esprits, ayants rencontré ceste bonne nourriture, en deviennent milleurs, tant à toutes choses générallement que spéciallement pour engendrer de bons enfants.

Loyse de Savoye, mirouer trèslucide de prudence & matronale gravité, trèsbien entendoit ce que nous disons, d’out elle print telle diligence & tel soing à la nourriture de sa fille Marguerite qu’à la veoir on l’eust plus tôt jugée une Perse, instituée de la sévérité Persienne, qu’une Françoise. Lors le roy Loys douziesme régnoit, & n’estoit encor l’espérance certaine que la lignée de Savoye montast si briesvement au siège Royal. Et, de ce temps là, Charles, Conte d’Engoulesme, n’ayant des biens de ce Monde respondants à la noblesse de son sang, sembleoit devoir emploier tout son esprit, son estude & sa puissance à faire amas d’un riche & opulent douaire pour sa fille Marguerite, & de grands trésors & rentes, revenus, maisons, chasteaus & possessions pour François, aussi son fils. Mais le trèssage Prince ayma par trop mieuls pourveoir à l’esprit de ses enfants qu’à leurs corps, comme mettant son principal soing à la chose qui estoit plus principalle & plus nécessaire. Car il avoit entendu ce que dit Xénophon celuy qui nourrit des chevauls & leur donne foing, avoine & pasture à l’abandon, sans les exercer ce pendant à la guerre, havoir certes des chevauls gras & en bon point, mais toutefois du tout inutiles à ce que les généreus & courageux chevauls doivent faire. Ainsi sçavoit il que ceuls qui prennent jour & nuit grand peine d’advancer leurs enfants aux honneurs, dignités & grandes richesses, sans havoir soucy que leur esprit soit orné, instruict & enrichy de bonnes meurs & des vertus, peuvent bien ha-