Page:Marguerite de Navarre - L’Heptaméron, éd. Lincy & Montaiglon, tome I.djvu/47

Cette page a été validée par deux contributeurs.
33
DE MARGUERITE DE NAVARRE

& expriment leur générosité, tant en faicts qu’en parolles.

De ceste sorte de Nobles jadis fut Marguerite, & espère ce jourd’huy vous donner à congnoistre combien elle a tousjours esté éloignée de jactance & d’insolence, & combien peu s’est jamais enorgueillie de sa noblesse. Mais, pour autant que tous les Roys, Princes & grands Seigneurs ne doivent se glorifier de la noblesse du sang devant qu’ils ayent uny & joinct avec elle la noblesse de l’Ame, & qu’en leur esprit doit estre à jamais imprimé ce que dit Euripide à grand honneur tourner aux enfants si, euls estant nais de bons & de nobles parents, leur sont semblables de mœurs & conditions ; car, comme Pythagore disoit ; « Les mœurs sont les tesmoings de la vraye & haulte noblesse », c’est à moy de vous monstrer ici que Marguerite a tellement respondu à la noblesse de son sang qu’elle l’a surpassée par la noblesse de ses mœurs.

Et, pour mieuls le vous faire entendre, me semble qu’il ne sera impertinent de dire en cest endroit quelque mot de son infance. Quand donc elle fut sortie du ventre de sa mère, si tost ne fut entrée en ce Monde que si grands signes & certains indices d’une très excellente indole apparurent au visaige de cest enfant que quiconques la regardoit, comme touché d’un divin augure, soudainement se promettoit d’elle je ne sçay quoy de bon qui excedderoit la naturelle inclination de la mortalité & condition humaine. Elle monstroit un visaige riant à tous ceuls qui la regardoient, &, estant nue, présentoit à un chascun sa main, comme si elle eust voulu donner sa foy de ne se laisser jamais surpasser à personne en humanité, doulceur & libéralité. Et, venu le jour quand elle deut estre baptisée, les Princes & Seigneurs, qui là estoient assemblés, assés lon-