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DE MARGUERITE DE NAVARRE

défendoit dire aux banquets funérauls aultre chose des trespassés que vérité. Car, quant à moy, & que maintenant je die vérité & que cy après ne diray que vérité, non seulement nostre France le tesmoignera, mais aussi la Germanie, l’Italie, l’Hespaigne, l’Angleterre & toutes aultres nations, tant soient elles barbares & élongnées de nous, lesquelles ont ouy parler de ceste grande Marguerite, Royne de Navarre.

Que si quelcun veult dire qu’il est véritablement louable & honneste de parler de la louenge des morts, mais, combien que Marguerite semble excéder toute louenge, que toutefois elle ne doibt estre publiquement honorée, veu que les anciens n’ont cela ordonné que pour les hommes seuls, cela certes seroit subtilement & véritablement dit si les Histoires ne nous asseuroient que les Matrones Romaines, pource qu’au temps de Camille soullagèrent la nécessité du trésor public de leurs dorures & ornements, obtindrent par leur libéralité que le Sénat ordonna par arrest que leurs louenges seroient récitées à leurs funérailles comme celles des hommes.

Dirons nous celle ne devoir estre mise en ce nombre, qui n’a seulement obligé à soy, par toute manière d’humanité & de largesse, les siens, je dy les François, mais aussi toutes aultres nations ? Que s’il a esté permis à Crasse louer publiquement Popilie, sa mère, & à Jules César sa femme, nous sera il défendu décorer par semblable oraison Marguerite, Royne de Navarre, femme & Princesse trop plus excellente qu’elles ?

De mon entreprise ne me pourra retirer que jadis il n’estoit licite parler de la louenge du mort à aultre qu’à celuy qui publiquement estoit ordonné pour ce faire. Car ce que les Indiens permettaient au Magistrat qu’ils y