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ORAISON FUNÈBRE

tre en Platon, les bons sont prisés selon leurs mérites, les vivants sont admonestés, leurs fils & leurs frères sont éguillonnés à l’imitation de leurs vertus, & leurs parents, si aulcuns les ont survescus, avec le grand plaisir qu’ils ont en leur esprit, sentent aussi une incrédible consolation. Cecy approuvant, Cicéron escrit la vie des morts servir à la mémoire des vivants. Aussi les Loys des Douze Tables, congnoissantes le fruict qui de ce provient, ont bien osté des cérémonies funèbres la grande despense, les pleurs & le dueil, & ont ordonné que la magnificence des sépulchres seroit diminuée, mais elles n’ont défendu que les louenges des honorables personnes fussent publiquement récitées.

Je dy cecy, ô Alençonnois, pour respondre à ceuls qui crient les Oraisons funèbres debvoir estre condannées & décriées pource qu’elles ouvrent la voye aux affectées & dangereuses flatteries & que telles louenges sont du tout inutiles aux trespassés, qui sont sourds ; affin aussi que je monstre qu’à bon droit pouvons nous glorifier que ce jourd’huy ne sommes icy assemblés que pour trèshonneste & trèslouable occasion, sçavoir est moy, à qui se présente très-ample, mais toutefois trop triste matière & argument d’Oraison, & vous, pour entendre les louenges de celle qui ne peut estre assés dignement louée par éloquence humaine, tant grande & féconde soit elle.

C’est la Marguerite, sœur unique de François, naguères nostre Roy ; c’est Marguerite, Royne de Navarre ; c’est la Marguerite, ô Alençonnois, vostre Duchesse & Princesse ; c’est, dy je, la Marguerite, femme incomparable, qui n’eut onc rien en ce Monde, sinon le corps, commun avec les aultres mortels. Quand je tiens ce propos, certes je ne crains estre accusé comme violateur & transgresseur de la Loy des Douze Tables, qui