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DE MARGUERITE DE NAVARRE

ceuls qui l’entendroient suivissent ce qui se doibt suivre & laissassent ce qui se doibt fuir. Les Ægyptiens aussi loueoient les trespassés, de quelque estat & condition qu’ils fussent, mais, sans faire aulcune mention des choses externes, comme des richesses, ils loueoient seulement en euls piété, foy, justice & religion. Quant à la louenge des Roys & des Princes, certes, ils estoient bien plus diligents & plus sévères ; car ils ne faisoient les cérémonies de leurs funérailles que premièrement le Grand Prebstre, qui estoit second en dignité après le Roy, n’eust récité toute leur vie par ordre & dès le commencement, affin que, si les vertus eussent surmonté les vices & que leur splendeur eust éclarcy l’obscurité des actes mal faicts, ils fussent embaulmés mis en un magnifique sépulcre & honorés de toute manière de louenge ; mais, si les vices obscurcisseoient tant la lumière du tiltre royal qu’elle ne peust estre esclarcie & qu’aussi surmontassent les vertus de nombre & de grandeur, fussent privés de l’honneur de sépulture & demeurassent notés de perpétuelle infamie.

Pleust il à Dieu, ô Alençonnois, que ceste coustume fust aujourd’huy si bien gardée que ceuls qui louent les trespassés si véritablement déclarassent leur vie que, sans chercher par tous moyens, tantost la faveur & la grâce de quelques uns, tantost la gloire du peuple, & sans longuement préméditer les louenges du mort, ils ne feissent des vices vertus. S’il estoit ainsi, certes, plusieurs se trouveroient, lesquels encor que la crainte de Dieu ne retirast des actes illicites qu’ils commettent, toutefois ou la cupidité d’honneur contiendroit en leur office, ou la crainte d’infamie les retarderoit quand ils s’en iroient abandonner aux vices. On ne pourrait donc suffisamment louer l’institution d’honorer les trespassés, par laquelle, comme Aspasie mons-