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Ire JOURNÉE

chascun y avoit esté, ce qu’elle luy promit, ignorant que l’extrémité de l’amour ne congnoit nulle raison.

Luy, qui se voyoit du tout desespéré de jamais la pouvoir recepvoir, que si longuement l’avoit servie & n’en avoit jamais eu nul autre traictement que vous avez oy, fut tant combattu de l’amour dissimulé & du desespoir qui luy monstroit tous les moyens de la hanter perduz, qu’il se délibéra de jouer à quicte ou à double, pour du tout la perdre ou du tout la gaingner, & se payer en une heure du bien qu’il pensoit avoir mérité. Il feit encourtiner son lict de sorte que ceulx qui venoient à la chambre ne le povoient veoir, & se plaingnoit beaucoup plus que il n’avoit accoustumé, tant que tous ceulx de ceste maison ne pensoient pas que il deust vivre vingt quatre heures.

Après que chascun l’eut visité, au soir Floride, à la requeste mesmes de son mary, y alla, espérant pour le consoler luy déclarer son affection & que du tout elle le vouloit aymer ainsi que l’honneur le peult permettre. Et se vint seoir en une chaise qui estoit au chevet de son lict, & commença son reconfort par pleurer avecq lui. Amadour, la voyant remplie de tel regret, pensa que en ce grand tourment pourroit plus facilement venir à bout de son intention & se leva de dessus son lict, dont Floride, pensant qu’il fust trop foible, le vou-