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Ire JOURNÉE

soient poinct en prinssent mauvaise opinion, se tint à une fenestre pour le veoir venir de loing. Et, si tost qu’elle l’advisa, descendit par un escallier tant obscur que nul ne pouvoit congnoistre si elle changeoit de couleur, & ainsy, embrassant Amadour, le mena en sa chambre, & de là à sa belle mère, qui ne l’avoit jamais veu. Mais il n’y demoura poinct deux jours qu’il se feit autant aymer dans leur maison qu’il estoit en celle de la Comtesse d’Arande.

Je vous laisseray à penser les propos que Floride & luy peurent avoir ensemble, & les complainctes qu’elle luy feit des maulx qu’elle avoit reçeus en son absence. Après plusieurs larmes gectées du regrect qu’elle avoit tant d’estre mariée contre son cueur que d’avoir perdu celuy qu’elle aymoit tant, lequel jamais n’espéroit de revoir, se délibéra de prendre sa consolation en l’amour & seurté qu’elle portoit à Amadour, ce que toutesfois elle ne luy osoit declairer ; mais luy, qui s’en doubtoit bien, ne perdoit occasion ne temps pour luy faire congnoistre la grande amour qu’il luy portoit.

Sur le point qu’elle estoit presque toute gaingnée de le recepvoir non à serviteur, mais à seur & parfaict amy, arriva une malheureuse fortune ; car le Roy, pour quelque affaire d’importance, manda incontinant Amadour, dont sa femme eust si grand regret que, en oyant ces nouvelles, elle