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Ire JOURNÉE

moy que si, pour vostre honneur ou chose qui vous touchast, vous avez besoing de la vie d’un Gentil homme, la mienne y sera de très bon cueur employée & en pouvez faire estat, pareillement que toutes les choses honnestes & vertueuses que je feray seront faict seullement pour l’amour de vous. Et, si j’ay faict pour Dames moindres que vous chose dont on ayt faict estime, soiez seure que, pour une telle maistresse, mes entreprinses croistront de telle sorte que les choses que je trouvois impossibles me seront très facilles ; mais, si vous ne m’acceptez pour du tout vostre, je délibère de laisser les armes & renoncer à la vertu qui ne m’aura secouru à mon besoing. Par quoy, ma Dame, je vous supplie que ma juste requeste me soyt octroyée, puisque vostre honneur & conscience ne me la peuvent refuser. »

La jeune Dame, oyant ung propos non accoustumé, commença à changer de couleur & baisser les oeilz comme femme estonnée. Toufesfois elle, qui estoyt saige, luy dist :

« Puis que ainsy est, Amadour, que vous demandez de moy ce que vous en avez, pourquoy est ce que vous me faictes une si grande & longue harangue ? J’ay si grand paour que, soubz vos honnestes propos, il y ayt quelque malice cachée pour decepvoir l’ingnorance joincte à ma jeunesse, que je suis en grande perplexité de vous respondre.