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Xe NOUVELLE

fant Fortuné, ay mis peine de le servir & hanter comme vous sçavez, & tout ce que j’ay pensé vous plaire, je l’ay cherché de tout mon pouvoir. Vous voyez que j’ay acquis la grace de la Contesse vostre mère, & du Conte vostre frère & de tous ceulx que vous aymez, tellement que je suys en ceste maison tenu non comme serviteur mais comme enffant, & tout le travail que j’ay prins il y a cinq ans n’a esté que pour vivre toute ma vie avecq vous. Entendez, ma Dame, que je ne suis poinct de ceulx qui prétendent par ce moyen avoir de vous ne bien ne plaisir aultre que vertueux. Je sçay que je ne vous puis espouser, &, quand je le pourrois, je ne le vouldrois contre l’amour que vous portez à celluy que je desire vous veoir pour mary. Et aussy de vous aimer d’une amour vicieuse, comme ceulx qui espèrent de leur long service une récompense au deshonneur des Dames, je suis si loing de ceste affection que j’aimerois mieulx vous veoir morte que de vous sçavoir moins digne d’estre aymée & que la vertu fust amoindrie en vous, pour quelque plaisir qui m’en sceust advenir. Je ne prétends, pour la fin & récompense de mon service, que une chose, c’est que vous me voulliez estre maistresse si loyalle que jamais vous ne m’esloigniez de vostre bonne grace, que vous me continuiez au degré où je suis, vous fiant en moy plus qu’en nul aultre, prenant ceste seurté de