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Ire JOURNÉE

l’œil, mais Hircan leur dist : « Voylà le plus grand fol dont je ouys jamais parler. Est il raisonnable, par vostre foy, que nous mourions pour les femmes, qui ne sont faictes que pour nous, & que nous craignions leur demander ce que Dieu leur commande de nous donner ? Je n’en parle pour moy ne pour tous les mariez, car j’ay autant ou plus de femmes qu’il m’en fault, mais je deiz cecy pour ceulx qui en ont necessité, lesquelz il me semble estre sotz de craindre celles à qui ils doivent faire paour. Et ne voiez vous pas bien le regret que ceste pauvre Damoiselle avoyt de sa sottise ? Car, puis qu’elle embrassoyt le corps mort, chose répugnante à nature, elle n’eust poinct refusé le corps vivant, s’il eust usé d’aussi grande audace qu’il feit de pitié en mourant.

— Toutesfois, » dist Oisille, « si monstra bien le Gentil homme l’honneste amityé qu’il luy portoit, dont il sera à jamays louable devant tout le monde, car trouver chasteté en un cueur amoureux, c’est chose plus divine que humaine.

— Ma Dame, » dist Saffredent, « pour confirmer le dire de Hircan auquel je me tiens, je vous supplye croire que Fortune ayde aux audatieux, & qu’il n’y a homme, s’il est aymé d’une dame, mais qu’il le sçache poursuivre saigement & affectionnément, qu’à la fin n’en ait tout ce qu’il demande ou partye ; mais l’ignorance & la folle craincte faict perdre aux hommes beaucoup de bonnes advantures, & fondent leur perte sur la vertu de leur amye, laquelle n’ont jamais expérimentée du bout du doigt seullement, car oncques place bien assaillye ne fut qu’elle ne fust prinse.

— Mais, » dist Parlemente, « je m’esbahys de vous