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IXe NOUVELLE

Le bien que je voys qu’elle pert du meilleur & plus affectionné amy qu’elle ayt en ce monde me faict plus de mal que la perte de ma vie, que pour elle seule je voulois conserver ; toutesfoys, puis qu’elle ne luy peult de rien servir, ce m’est grand gain de la perdre. » La mère & la fille, oyans ces propos, meirent peyne de le reconforter, & luy dit la mère : « Prenez bon couraige, mon amy, & je vous promectz ma foy que, si Dieu vous redonne santé, jamais ma fille n’aura autre mary que vous, & voylà cy présente à laquelle je commande de vous en faire la promesse. » La fille, en pleurant, meit peyne de luy donner seurté de ce que sa mère promectoyt, mais luy, congnoissant bien que, quant il auroyt la santé, il n’auroyt pas s’amye & que les bons propos qu’elle tenoyt n’estoient seullement que pour essaier à le faire ung peu revenir, leur dist que, si ce langaige luy eust esté tenu il y avoyt trois mois, il eust esté le plus sain & le plus heureux Gentil homme de France, mais que le secours venoit si tard qu’il ne povoit plus estre creu ne esperé. Et quant il veid qu’elles s’esforçoient de le faire croyre, il leur dist : « Or, puis que je voy que vous me promectez le bien que jamais ne peut advenir, encores que vous le voulsissiez, pour la foiblesse où je suys, je vous en demande ung beaucoup moindre que jamays je n’euz la hardiesse de requérir. » À l’heure toutes deux le luy jurèrent,