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Ire JOURNÉE

Sur le poinct de l’aube du jour, cest homme se leva d’auprès d’elle &, en se jouant à elle au partir du lict, luy arracha ung anneau qu’elle avoit au doigt, duquel son mary l’avoyt espousée ; chose que les femmes de ce païs gardent en grande superstition & honorent fort une femme qui garde tel anneau jusques à la mort, &, au contraire, si par fortune le perd, elle est desestimée, comme ayant donné sa foy à aultre que à son mary. Elle fut très contante qu’il luy ostast, pensant qu’il seroit seur tesmoignage de la tromperie qu’elle luy avoit faicte.

Quand le compaignon fut retourné devers le maistre, il luy demanda : « Et puis ? » Il luy respondit qu’il estoit de son opinion & que, s’il n’eust crainct le jour, encores y fust il demouré. Ilz se vont tous deux reposer le plus longuement qu’ilz peurent. Et au matin, en s’habillant, apperçeut le mary l’anneau que son compaignon avoyt au doigt, tout pareil de celuy qu’il avoit donné à sa femme en mariage, & demanda à son compaignon qui le luy avoyt donné. Mais, quand il entendit qu’il l’avoyt arraché du doigt de la Chamberière, fut fort estonné, & commença à donner de la teste contre la muraille, disant : « Ha, vertu Dieu, me serois je bien faict cocu moy mesme, sans que ma femme en sçeut rien ? » Son compaignon, pour le reconforter, luy dist : « Peult estre que vostre