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VIIJe NOUVELLE

renoncé à l’auctorité de commander pour le plaisir de servir, s’estoit mise en la place de sa Chamberière & reçeut son mary, non comme femme, mais feignant la contenance d’une fille estonnée, si bien que son mary ne s’en apparçeut point.

Je ne vous sçaurois dire lequel estoit plus aise des deux, ou luy de penser tromper sa femme, ou elle de tromper son mary. Et, quand il eut demouré avecq elle, non selon son vouloir, mais selon sa puissance, qui sentoit le vieil marié, s’en alla hors de la maison, où il trouva son compaignon, beaucoup plus jeune & plus fort que luy, & luy feit la feste d’avoir trouvé la meilleure robbe qu’il avoyt poinct veue. Son compaignon luy dist : « Vous sçavez que vous m’avez promis. — Allez doncques vistement, » dit le maistre, « de paour qu’elle ne se liève, ou que ma femme ayt affaire d’elle. » Le compaignon s’y en alla, & trouva encores ceste mesme Chamberière que le mary avoyt mescongneue, laquelle, cuydant que ce fust son mary, ne le refusa de chose que luy demandast, j’entends demander pour prandre, car il n’osoit parler. Il y demoura bien plus longuement que non pas le mary, dont la femme s’esmerveilla fort, car elle n’avoyt poinct accoustumé d’avoir telles nuictées ; toutesfoys elle eut patience, se reconfortant aux propos qu’elle avoit déliberé de luy tenir le lendemain & à la mocquerie qu’elle luy feroyt recepvoir.