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VJe NOUVELLE

veid que son amy estoit tout prest de saillir, en ouvrant sa porte commença à dire à son mary : « Ô mon mary, que je suis bien aise de vostre venue, car je faisois un merveilleux songe & estois tant aise que jamais je ne reçeuz ung tel contentement, pource qu’il me sembloit que vous aviez recouvert la veue de votre oeil. » Et, en l’embrassant & le baisant, le print par la teste & luy bouchoit d’une main son bon oeil, & lui demandant : « Voiez vous point myeulx que vous n’avez accoustumé ? » En ce temps, pendant qu’il ne veoyt goutte, feit sortir son amy dehors, dont le mary se doubta incontinant, & luy dist :

« Par Dieu, ma femme, je ne feray jamais le guet sur vous, car, en vous cuydant tromper, j’é reçeu la plus fine tromperie qui fut oncques inventée. Dieu vous veulle amender, car il n’est en la puissance d’homme du monde de donner ordre en la malice d’une femme, qui du tout ne la tuera ; mais, puis que le bon traictement que je vous ay faict n’a rien servi à vostre amendement, peult estre que le despris que doresnavant j’en feray vous chastira. »

Et en ce disant, s’en alla & laissa sa femme bien desolée, qui, par le moyen de ses amis, excuses & larmes, retourna encores avecq luy.

« Par cecy, voyez vous, mes Dames, combien est