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IIIJe NOUVELLE

jours faicte au Gentil homme, & demanda à sa Dame d’honneur ce qu’elle avoit à faire, laquelle luy dist :

« Ma Dame, puis qu’il vous plaist recepvoir mon conseil, voiant l’affection dont il procedde, me semble que vous devez en vostre cueur avoir joye d’avoir veu que le plus beau & le plus honneste Gentil-homme que j’ay veu en ma vie n’a sçeu, par amour ne par force, vous mectre hors du chemin de vraye honnesteté. Et en cela, ma Dame, devez vous humillier devant Dieu, recongnoistre que ce n’a pas esté par vostre vertu, car mainctes femmes, ayans mené vie plus austère que vous, ont esté humiliées par hommes moins dignes d’estre aimez que luy, & devez plus que jamais craindre de recepvoir propos d’amityé, pource qu’il y en a assez qui sont tombez la seconde fois aux dangiers qu’elles ont évité la première. Ayez mémoire, ma Dame, que Amour est aveugle, lequel aveuglit de sorte que où l’on pense le chemyn plus seur, c’est à l’heure qu’il est le plus glissant. Et me semble, ma Dame, que vous ne debvez à luy ne à aultre faire semblant du cas qui vous est advenu, &, encores qu’il en voulust dire quelque chose, faindrez du tout de ne l’entendre, pour éviter deux dangiers, l’un de la vaine gloire de la victoire que vous en avez eue, l’aultre de prendre plaisir en ramentevant choses qui sont si plaisantes à la chair