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IIIJe NOUVELLE

les saiges responses qu’elle sçavoit faire. Mais il pensa que, s’il la povoit trouver en lieu à son advantaige, elle qui estoit vefve, jeune & en bon poinct & de fort bonne complexion, prandroyt peult estre pitié de luy & d’elle ensemble.

Pour venir à ses fins, dist à son Maistre qu’il avoyt auprès de sa maison fort belle chasse & que, sy luy plaisoit y aller prandre trois ou quatre cerfs au mois de may, il n’avoit poinct veu plus beau passetemps. Le Seigneur, tant pour l’amour qu’il portoit à ce Gentil homme que pour le plaisir de la chasse, luy octroya sa requeste & alla en sa maison, qui estoit belle & bien en ordre, comme du plus riche Gentil homme qui fust au pays. Et logea le Seigneur & la Dame en ung corps de maison, & en l’autre vis à vis celle qu’il aymoit plus que luy mesmes, la chambre de laquelle il avoit si bien accoustrée, tapissée par le hault & si bien nattée qu’il estoit impossible de s’appercevoir d’une trappe qui estoit en la ruelle de son lict, laquelle descendoit en celle où logeoit sa mère, qui estoit une vieille Dame ung peu caterreuse &, pource qu’elle avoit la toux, craignant faire bruict à la Princesse qui logeoit sur elle, changea de chambre à celle de son filz. Et les soirs ceste vieille Dame portoit des confitures à ceste Princesse pour sa collation, à quoy assistoyt le Gentil homme, qui, pour estre fort aymé & privé de son frère, n’estoit refusé