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Ire JOURNÉE

subgect à son plaisir, aymant chasse, passetemps & dames, comme la jeunesse le requéroyt, & avoyt une femme fort fascheuse, à laquelle les passetemps du mary ne plaisoient poinct ; par quoy le Seigneur menoit tousjours avecq sa femme sa seur, qui estoyt la plus joyeuse & meilleure compaignie qu’il estoit possible, toutesfois saige & femme de bien.

Il y avoyt en la Maison de ce Seigneur ung Gentil homme, dont la grandeur, beaulté & bonne grace passoit celle de tous ses compaignons. Ce Gentil homme, voyant la seur de son Maistre femme joyeuse & qui ryoit voluntiers, pensa qu’il essaieroyt pour veoir si les propos d’une honneste amityé luy desplairoient, ce qu’il feit ; mais il trouva en elle response contraire à sa contenance. Et, combien que sa response fust telle qu’il appartenoyt à une Princesse & vraye femme de bien, si est ce que, le voyant tant beau & honneste comme il estoit, elle luy pardonna aisément sa grande audace & monstroit bien qu’elle ne prenoit point desplaisir quand il parloit à elle, en luy disant souvent qu’il ne tinst plus de tels propos ; ce qu’il lui promist, pour ne perdre l’aise & honneur qu’il avoyt de l’entretenir.

Toutesfois à la longue augmenta si fort son affection qu’il oblia la promesse qu’il luy avoit faicte ; non qu’il entreprint de se hazarder par parolles, car il avoit, trop contre son gré, expérimenté