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PROLOGUE

ment de mon esprit. Il me semble que, si tous les matins vous voulez donner une heure à la lecture & puis, durant la messe, faire voz dévotes oraisons, vous trouverez en ce désert la beaulté qui peut estre en toutes les villes, car qui congnoist Dieu veoit toutes choses belles en luy, & sans luy tout laid ; par quoy, je vous prie, recepvez mon conseil, si vous voulez vivre joyeusement ».

Hircan print la parolle & dist : « Ma Dame, ceulx qui ont leu la saincte Escripture, comme je croy que nous tous avons faict, confessent que vostre dict est tout véritable, mais si fault il que vous regardez que nous sommes encore si mortifiez qu’il nous fault quelque passetemps & exercice corporel. Car, si nous sommes en noz maisons, il nous fault la chasse & la vollerye, qui nous faict oblier mil folles pensées, & les Dames ont leur mesnaige, leur ouvraige & quelques fois les dances, où elles prennent honneste exercice, qui me faict dire, parlant pour la part des hommes, que vous, qui estes la plus antienne, nous lirez au matin de la vie que tenoit nostre Seigneur Jésus Christ, & les grandes & admirables euvres qu’il a faictes pour nous ; pour après disner, jusques à Vespres, fault choisir quelque passetemps qui ne soit dommageable à l’ame, soit plaisant au corps, & ainsi passerons la journée joieusement. »

La dame Oisille leur dist qu’elle avoyt tant de peyne de oblier toutes les vanitez qu’elle avoit paour de faire mauvaise élection à tel passetemps, mais qu’il falloit remectre ceste affaire à la pluralité d’opinions, priant Hircan d’estre le premier opinant.

« Quant à moy, » dist-il, « si je pensois que le