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L’ÉDITION DE BERNE

haute société l’ennuyait ; il préférait la société de simples ouvriers, surtout de ceux qui avaient voyagé, & même de quelques bons paysans dont il avait su facilement gagner la confiance & l’affection. Mais ce qu’il préférait à tout, c’était de vivre au milieu d’un cercle d’artistes instruits, où il trouvait naturellement l’occasion de montrer son intelligence & sa bonne humeur. Mais, quand les artistes n’avaient aucune instruction, aucune culture d’esprit, il les regardait comme des fâcheux, car lui-même possédait beaucoup de connaissances & en même temps une bibliothèque assez considérable & choisie avec goût. On affirme que, lorsqu’il ne composait pas, il avait l’habitude de se faire lire pendant qu’il peignait.

Freudenberg a donné la plus grande preuve de la variété de ses connaissances & de la fécondité de ses inventions dans une suite d’environ cent dessins[1] qu’il a faits pour une nouvelle édition, publiée à Berne en 1783, des Contes de la Reine de Navarre, si connus & si goûtés des gens de lettres, lesquels ont été gravés ensuite par Longueil, Halbou & d’autres artistes. On peut comparer ces dessins assurément, & sans aucune espèce d’exagération, aux meilleures compositions de Chodowiecky, & admirer dans la plupart d’entre eux une plus habile ordonnance des sujets & une aussi grande habileté à triompher des difficultés qu’offre l’espace réduit où se meuvent les acteurs de ces petites scènes, surtout quand on sait qu’ordinairement Freudenberg travaillait sur une plus grande échelle. Du reste, les sujets représentés dans cette collection diffèrent essentiellement des scènes que le même artiste a empruntées à la vie champêtre, toutes pleines d’une douce naïveté, empreintes du calme le plus profond : celles-ci, au contraire, sont tantôt comiques, tantôt tragiques ; mais elles sont toutes traitées avec talent, avec esprit & le sentiment le plus vrai.

  1. En réalité soixante-treize pour le Prologue & les 72 Nouvelles de l’Heptaméron.