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NOTICE DE L’INITIATOIRE INSTRUCTION

On y trouve certains passages hardis qui nous portent à croire que l’auteur était partisan de la Réforme. Au folio 23 verso, Théophile demande à Théodidacte ce que signifie Église en notre langue commune. Théodidacte répond : « Église signiffie congrégation. Quant doncques nous disons : Je croy la congrégation, non pas ce monceau de boys & de pierres où la multitude des anti-christians ministres, qui ne sont rien moins que union & congrégation, veu que chacun d’eulx veult estre différend de l’autre tant en sentences ou opinion que en supersticieuses & hipocriticques cérémonies, &c. »

Au folio 52 verso, après avoir parlé du choix d’un confesseur, qui doit être un homme de bien, c’est-à-dire « fidèle, puissant en la parolle, qui vous puisse consoller & donner conseil utile & salutaire pour myeulx instituer vostre vie, &c. », l’auteur ajoute : « Or, quant vous aurés trouvé ung tel confesseur ainsi qu’on l’apelle, vous irés vous confesser & accuser devant luy, & ne serés soingneux ne vous efforcerés de luy rendre compte pour le menu de tous les péchés que vous avez commis depuys le temps de vostre nativité, ou depuys le temps de vostre dernière confession, avec les circonstances, c’est assavoir : quand, en quel lieu, quantes foys, avec qui & comment, ainsi que l’en a de coustume, car ceste façon de soy confesser n’est aultre chose que hypocrisie vraye & faintise. Je m’en croy à ceulx qui en ont usé jusques icy, pourveu qu’ilz veulent dire vray, soit ou homme ou femme, prebstre ou aultre. Et Dieu n’a ordonné telle confession, & n’ay jamays leu en l’Escripture d’homme qui soit ainsi confessé, & néantmoins qu’elle ait grande apparence de saincteté & vraye devotion, toutesfoys croys je que le Diable l’a inventée pour séduyre le monde, &c, &c. »

Ce curieux manuscrit fut exécuté au moment & même à l’occasion du mariage de Marguerite avec le Roi de Navarre, au moins est-ce l’opinion du P. Montfaucon, qui a reproduit la première miniature, t. IV, p. 260 (pl. xxxiii) des Monumens de la monarchie françoise. C’est à M. de Gaignières qu’il en devait la communication. En 1763, ce manuscrit devint la propriété de M. Picard, ainsi que le prouve la mention suivante, placée au recto du folio 1 : De la bibliothèque de Charles-Adrien Picard en 1763. À la vente des livres de cet amateur, en 1780, le volume, inscrit sous le no 112 de son catalogue, fut vendu 231 fr. 10 sous (Catalogue des livres de la bibliothèque de feu M. Picard, contenant environ cent manuscrits sur vélin, décorés de miniatures & de beaucoup d’articles rares & singuliers, &c. Paris, Merigot, 1780, in-8o, p. 16). Cette acquisition a dû être faite pour la bibliothèque de Monsieur, comte d’Artois, connue aujourd’hui sous le nom de Bibliothèque de l’Arsenal.