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NOTICE DES MANUSCRITS

Mainctenant est mon esprit en repoz ;
Plus n’est çà bas ; vous me rompez la teste. »
Sa fille alors, qui du secours fut preste,
Dist : « Laissez la ; elle attend la promesse
De la divine & admirable haultesse ;
Tous serviteurs, enfans, honneurs & biens
N’estime plus sinon ordure & fiens ;
Tous les mortelz pour l’Immortel oublye,
Voyant son Dieu, qui l’a tant anoblie
Qu’i la reçoit pour espouse & pour femme. »
Dont respondit à sa fille la Dame :
« C’est très bien dit, m’amye, il est ainsy, »
Et, sans bouger ses yeulx d’en hault aussi,
Sans plus parler la croix elle baisoit,
Et d’ouyr clair tousjours signe faisoit.
Et tost après jeta un regard doulx
Devers le ciel là où son tout en tous,
En soubzriant, sembloit veoir clairement
Et sur ce poinct fist son trespassement
Si doulcement que sa fille sans plus
S’en apperçeut, car trestout le surplus
Se débattoit si elle estoit morte ou non.

Ainsy passa, digne d’heureux renom,
Celle qui eut & vivant & mourante,
Foy en Dieu seul, amour & vraye attente…

D’après les citations qui précèdent, il est facile de s’apercevoir que Marguerite d’Angoulême n’est pas auteur du poème des Prisons. On peut en attribuer la composition à quelque serviteur de la Maison d’Alençon, peut-être à Guillaume Philander, savant du XVIe siècle, auquel ce manuscrit a appartenu & qui le transmit à sa sœur, ainsi que le prouve une note que nous avons reproduite plus haut. Guillaume Philander ou mieux Filandrier, né en 1505 à Châtillon-sur-Seine, se fit un nom recommandable par ses connaissances dans les littératures grecque & latine, & par ses travaux sur Quintilien & Vitruve. Sa réputation lui valut les bonnes grâces de Georges d’Armagnac, Évêque de Rodez, qui l’attira près de lui & devint son Mécène. En 1532, Marguerite d’Angoulême & son mari le Roi de Navarre étant venus prendre possession du comté de Rodez, Georges d’Armagnac en profita pour présenter à la Reine son protégé Philander, qui avait été chargé de composer une inscription commémorative. Marguerite lui fit un accueil très gracieux, & l’engagea à publier le plus tôt possible ses recherches sur Quintilien. Dans un voyage en Italie, Filandrier étudia l’architecture sous Sébastien Serlio & le Bramante. De retour à Rodez, il contribua à l’embellissement de cette ville par l’érection de plusieurs