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NOTICE DES MANUSCRITS

Vivre m’a fait, & fault que je le dye,
En guerre & paix conservant mon honneur,
Servant, aimant mon souverain Seigneur. »
Lors, regardant Madame la Régente,
Luy dist : « Madame, à vous je me lamente,
Vous suppliant ne (pas) celler au Roy :
C’est que, depuys le piteux désarroy
De sa prison, j’ay eu tel desconfort
Et tel ennuy qu’il m’a donné la mort,
Laquelle, autant que vivant je l’ay craincte,
Belle la treuve & la prans sans contraincte ;
Car, quand au Monde, onques le cueur n’y euz
Ny amusé à ses biens je ne fuz,
Et, n’ayant peu prisonnier ny mort estre,
Servant mon Roy, père, frère & bon maistre,
Plus rien çà bas de partir ne m’engarde
Pour voiler hault où l’arriver me tarde. »
Baisant sa main, luy dist : « Je ne demande
Que vostre grace & je me recommande
Celle qu’avec conjoincte en mariage,
Quinze ans y a, aveques moy. Tant saige
Et vertueuse envers moi l’ay trouvée
Qu’elle peult bien de moy estre approuvée. »
Mais, regardant sa femme de ce pas
Derrière luy, dist : « Ne me laissez pas »,
Qui, nonobstant maternelle deffense,
Ne voulut pas au mary faire offense,
Mais, l’embrassant & s’approchant de luy,
Luy monstroit Dieu, son secours & appuy.
Lors, regardant entre les Chevaliers,
Il appella Monsieur de Chandeniers,
Disant : « Je crains de faire fondre en pleurs
Mes Officiers & povres serviteurs
En leur disant l’adieu qui leur desplaist.
Vous leur direz, compère, s’il vous plaist,
Les priant tous de se réconforter.
Ma femme aussi ne sçauroit supporter
Après ma mort parler à eux ensemble,
Dont myeulx que nul le ferez, ce me semble. »
A Maistre Jehan Gœurot, son médecin,
Qui arriva ce jour, il dist : « Ma fin
Est aujourd’huy ; il fault que je deffine
En vous priant de donner médecine
En conservant celle qui m’a servi
Et mon vouloir jusqu’à la mort suyvi. »
Et, se tournant vers elle, luy donna
Son Médecin, & puys luy ordonna
Ce qu’il vouloit de son enterrement