Page:Marguerite de Navarre - L’Heptaméron, éd. Lincy & Montaiglon, tome I.djvu/162

Cette page a été validée par deux contributeurs.
148
EXTRAITS DE BRANTOME

sa sœur, avoit faites & composées, car elle en estoit très bonne maistresse.

Le Roy François luy accorda sa prière & luy promit qu’il le feroit, ce qu’il fit, &, pour ce ayant envoyé un Gentilhomme vers elle pour les luy demander, elle fit de la malade sur le coup & remit le Gentil homme dans trois jours à venir, & qu’il auroit ce qu’il demandoit. Ce pendant de despit elle envoya quérir un Orfèvre & lui fit fondre tous ces joyaux, sans avoir respect ny acception des belles devises qui y estoient engravées, & après, le Gentil homme tourné, elle luy donna tous les joyaux convertis & contournez en lingots d’or : « Allez », dit-elle, portez cela au Roy & dites luy que, puisqu’il luy a pleu me révoquer ce qu’il m’avoit donné si libéralement, que je le luy rends & renvoyé en lingots d’or. Pour quant aux devises, je les ay si bien empreintes & colloquées en ma pensée & les y tiens si chères que je n’ay peu permettre que personne en disposast & jouist & en eust de plaisir que moy mesmes. »

Quand le Roy eut reçeu le tout, & lingots & propos, de ceste Dame, il ne dit autre chose sinon : « Retournez lui le tout. Ce que j’en faisois, ce n’estoit pour la valeur, car je luy eusse rendu deux fois plus, mais pour l’amour des devises &, puisqu’elle les a fait ainsy perdre, je ne veux point de l’or & le luy renvoyé. Elle a monstré en cela plus de courage & générosité que n’eusse pensé pouvoir provenir d’une femme[1]. »

  1. Édition Lalanne, Dames Galantes, IX, 512-3.