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SUR MARGUERITE DE NAVARRE

maison, au bout desquels il vint voir sa mère qui estoit lors à la Cour avec la Reyne de Navarre, qui se tenoit lors à Pau, à laquelle il fit révérence ainsi qu’elle tournoit de vespres.

Elle, qui estoit la meilleure Princesse du monde, luy fit une fort bonne chère &, le prenant par la main, le pourmena par l’église environ une heure ou deux, luy demandant force nouvelles des guerres de Piedmont & d’Italie & plusieurs autres particularitez, auxquelles mon frère respondit si bien qu’elle en fut satisfaite (car il disoit des mieux) tant de son esprit que de son corps, car il estoit très-beau gentilhomme & de l’aage de vingt-quatre ans. Enfin, après l’avoir entretenu assez de temps, & ainsi que la nature & la complexion de cette honorable Princesse estoit de ne dédaigner les belles conversations & entretiens des honnestes gens, de propos en propos, tousjours en se pourmenant, vint précisément arrester coy mon frère sur la tombe de Mademoiselle de La Roche, qui estoit morte il y avoit trois mois ; puis le prit par la main & luy dit :

« Mon cousin », — car ainsi l’appeloit-elle, d’autant qu’une Fille d’Albret avoit esté mariée en notre Maison de Bourdeille, mais pour cela je n’en mets pas plus grand pot au feu ny n’en augmente davantage mon ambition — « ne sentez-vous point rien mouvoir sous vous & sous vos pieds ? — Non, Madame », respondit-il. — « Mais songez-y bien, mon cousin », lui répliqua-elle. Mon frère lui respondit : « Madame, j’y ay bien songé, mais je ne sens rien mouvoir, car je marche sur une pierre bien ferme. — Or, je vous advise », dit lors la Reyne sans le tenir plus en suspens, « que vous estes sur la tombe & le corps de la pauvre Mademoi-