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EXTRAITS DE BRANTOME

il fut envoyé à l’aage de dix-huit ans en Italie pour estudier & s’arresta à Ferrare pour ce que Madame Renée de France, Duchesse de Ferrare, aimoit fort ma mère & pour ce le retint là pour vaquer à ses études, car il y avoit Université. Or, d’autant qu’il n’y estoit nay ni propre, il n’y vaquoit guères, ains plutost s’amusa à faire la cour & l’amour, si bien qu’il s’amouracha fort d’une Damoiselle Françoise veufve, qui estoit à Madame de Ferrare, qu’on appeloit Mademoiselle de La Roche, & en tira de la joüissance, s’entr’aimant si fort l’un & l’autre que, mon frère ayant esté rappelé de son père, le voyant mal propre pour les Lettres, fallust qu’il s’en retournast.

Elle, qui l’aimoit & qui craignoit qu’il ne luy mesadvint parce qu’elle sentoit fort de Luther, qui voguoit pour lors, pria mon frère de l’emmener avec luy en France, & en la Cour de la Reyne de Navarre, Marguerite, à qui elle avoit esté & l’avoit donnée à Madame Renée lorsqu’elle fut mariée & s’en alla en Italie. Mon frère, qui estoit jeune & sans aucune considération, estant bien aise de cette bonne compagnie, la conduisit jusques à Paris, où estoit pour lors la Reyne, qui fut fort aise de la voir, car c’estoit la femme qui avoit le plus d’esprit & disoit des mieux, & estoit une veufve belle & accomplie en tout.

Mon frère, après avoir demeuré quelques jours avec ma grand-mère & ma mère, qui estoit lors en sa Cour, s’en retourna voir son père. Au bout de quelque temps, se dégoustant fort des Lettres & ne s’y voyant propre, les quitte tout à plat & s’en va aux guerres de Piedmont & de Parme, où il acquit beaucoup d’onneur, & les pratiqua l’espace de cinq à six mois sans venir à sa