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EXTRAITS DE BRANTOME

exterminer les Hérétiques de son royaume, qu’il falloit commencer à sa Court & à ses plus proches, luy nommant la Reyne sa sœur. À quoy le Roy respondit : « Ne parlons point de celle là ; elle m’ayme trop. Elle ne croyra jamais que ce que je croyray, & ne prendra jamais de relligion qui préjudicie à mon Estat. »

Donq’oncques puis elle n’ayma jamais M. le Connestable, l’ayant sçeu, & luy ayda bien à sa deffaveur & bannissement de la Court ; si bien que, le jour que Madame la Princesse de Navarre, sa fille, fut mariée aveq’ le Duc de Cléves à Chastelleraud[1], ainsin qu’il la falust mener à l’église, d’autant qu’elle estoit si chargée de pierreries & de robe d’or & d’argent, & pour ce par la foiblesse de son corps n’eust sçeu marcher, le Roy commanda à M. le Connestable de prendre sa petite niepce au col & la porter à l’église. Dont toute la Court s’en estonna fort, pour estre une charge peu convenable & honorable en telle cérémonie pour ung Connestable & qu’elle se pouvoit bien donner à ung autre, de quoy la Reyne de Navarre n’en fust nullement desplaisante & dit : « Voilà celluy qui me voulloit ruyner autour du Roy mon frère, qui maintenant sert à porter ma fille à l’église. »

Je tins ce conte de ceste personne que j’ay dict, & que M. le Connestable fut fort desplaisant de ceste charge ; il en heut ung grand despit, pour servir d’un tel spectacle à tous, & commança à dire : « C’est faist dézormais de ma faveur ; à Dieu lui dis », comme il

  1. Sur le mariage à Chatelleraud, Voy. Paradin, Histoire de notre temps, p. 424-5 ; l’Histoire de Chatelleraud, de l’abbé Lalanne, 1859, in-8o, I, p. 325-6, & surtout le livre récent de M. de Ruble.