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SUR MARGUERITE DE NAVARRE
signe qu’elle dirigoyt & tendoit toutes ses actions, pensées, volontés & affections, à ce grand soleil d’en haut qui estoit Dieu, & pource la soubsçonnoit on de la relligion de Luther.

Mais, pour le respect & l’amour qu’elle portoit au Roy son frère, qui l’aymoit unicquement & l’appelloit tousjours sa mignonne, elle n’en fist jamais aucune profession ny semblant, &, si elle la croyoit, elle la tenoit dans son âme fort secrette, d’autant que le Roy la haïssoit fort, disant qu’elle & toute autre nouvelle secte tendoient plus à la destruction des royaumes, des monarchies, & dominations nouvelles, qu’à l’édification des âmes.

Le Grand Sultan Sollyman en disoit de mesmes, laquelle, combien qu’elle renversast force pointz de la Relligion Chrestienne & du Pape, il ne la pouvoit aymer, « d’autant », ce disoit il, « que les religieux d’icelle n’estoyent que brouillons siditieux & ne se tenoient jamais en repos qu’ilz ne remuassent tousjours. »

Voylà pour quoy le Roy François, sage Prince s’il en fut onq, en prévoyant les misères qui en sont venues en plusieurs partz de la Chrestianté, les hayssoit & fut ung peu rigoureux à faire brûler tous vifz les Hérétiques de son temps. Si ne layssa-t-il pourtant à favoriser les Princes Protestans d’Allemagne contre l’Empereur. Ainsin ces grands Roys se gouvernent comm’ il leur plaist.

J’ay ouy conter à personne de foy que M. le Connétable de Montmorency, en sa plus grande faveur, discourant de ce faict ung jour aveq le Roy, ne fist difficulté ny scrupule de luy dire que, s’il vouloit bien