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ORAISON FUNÈBRE

estre solitairement tristes que vous, qui avis perdu une Princesse, laquelle perfaictement vous aimeoit & n’estoit moins songneuse de vostre proffit que du sien mesmes. Tous vos voisins, elle vivante, pourchassoient vostre alliance & amitié, & n’y avait nation en France qui ne portast honneur à ceuls d’Alençon, non certes pour aultre cause sinon qu’ils sçavoient bien que Marguerite vous aimeoit tant que l’injure qui vous eust esté faicte, elle l’eust réputée faicte à elle. Maintenant vos voisins courent sur vous, & tous les aultres vous hont en mespris & dédaing parce qu’ils sçavent que la corde de vostre ancre est couppée. Marguerite avoit remis en sa pristine vertu vostre Parlement & Eschiquier, qui estoit demeuré en langueur, & le vous avoit rendu en vostre ville fréquent & honorable ; aujourd’huy il est estainct avec son corps. A l’ayde de Marguerite vous aviés recouvré la liberté qu’aviés perdue &, tant qu’elle a vescu, l’aviés gardée ; aujourd’huy elle vous est ostée & transportée ailleurs. Et, pour dire en un mot toutes vos calamités,Marguerite morte, toute l’espérance, l’ayde, le support & appuy des Alençonnois sont abbatus.

Quand je dy ces parolles & que je mets devant nos œils, tant nostre particulier dommage que la perte publique que la mort de Marguerite nous apporte, certes à peine me puis je abstenir de pleurer, car le cœur me dit que nous sommes menacés de plus grands mauls, qui estoient empeschés par la présence de Marguerite, si le Seigneur par sa pitié ne nous préserve. Mais quel proffit nous reviendra de nous mettre à pleurer & lamenter comme femmes ?

J’accorde bien qu’il fault donner cela à l’humanité que quiconques est privé de ses affections, sçavoir est qui aura