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ORAISON FUNÈBRE

quand François, son frère, décéda, la mort duquel personne ne luy ausoit adnoncer, car ils étoient ensemblement conjoincts d’un si estroit & si ferme lien d’amour fraternel que, ne de la mémoire de nos prédécesseurs, ne de la nostre, onc n’en fut ne veu ne ouy de second. Son frère tant de fois l’avoit priée par lettres, un peu devant qu’il mourust, qu’elle se retirast à la Court affin que l’indissoluble lien de leurs cœurs & voluntés ne souffrist que les corps fussent séparés, &, comme ils avoient este ensemblement nourris & institués au Monde, ainsi départissent ensemble de ce Monde.

Or, le jour que François nous fut osté, elle mesmes le m’a depuis ainsi dit, luy fut advis en dormant qu’elle le veit palle & d’une triste voix l’appellante sa Sœur, en quoy elle print un trèsmaulvais signe &, se doublant de cela, envoya à la Court plusieurs Couriers sçavoir de la disposition du Roy son frère, mais il n’en retourneoit un seul vers elle.

Un jour, s’estant de rechef son frère apparu à elle ainsi qu’elle dormoit — desjà y avoit quinze jours qu’il estoit trespassé, — demanda à ceuls de sa Maison s’ils avoient ouy aucune nouvelle du Roy, lesquels luy respondirent qu’il se porteoit trèsbien, & adonc voulut aller à l’Église.

En y allant, elle appella Thomas le Coustelier, jeune homme de bon esprit & son Secrétaire, auquel, comme elle disoit l’argument d’une lettre qu’elle vouloit escrire à une Princesse de la Court pour entendre d’elle de la prospérité du Roy, elle ouyt, de l’aultre costé du cloistre, une Religieuse, quelque peu tournée de son cerveau, qui se plaignoit & pleureoit fort. Marguerite, de sa nature encline à commisération, va en diligence vers ceste fille, luy