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DE MARGUERITE DE NAVARRE

Jésus estre tel ? Certes nous ne l’apprenons des préceptes des Philosophes, non des contentions sophistiques, non du jugement de la Chair, non des traditions des hommes, non de la sapience & prudence humaine. Il est vray que la Saincte Escripture enseigne ce que devons nous persuader de Jésuschrist, mais que cela nous soit persuadé & demeure appréhendé & imprimé dans nostre cœur. Certes, celuy seul le donne de qui S. Paul dit : « Personne ne peut confesser Jésuschrist que par l’inspiration du sainct Esprit. » Puis qu’ainsi est, je vous demande maintenant, ô Alençonnois, veu qu’il n’y a d’accord ne de compaignie entre Christ & Bélial, entre la lumière & les ténèbres, le sainct Esprit saisira il l’esprit & l’entendement des Athéistes, Anabaptistes, Juifs, Gentils & Hérétiques ?

Qu’estimerons nous donc qu’on doibt juger de Marguerite, laquelle, ayant en sa griefve maladie perdu la parolle presque trois jours devant son trespas & l’ayant recouvrée à l’heure qu’elle voulut départir de ce Monde, d’une voix mourante crya :Jésus, Jésus, Jésus, &, ces parolles dictes, rendit l’esprit à Dieu ? Que si Jésus n’eust esté imprimé au plus profond de son cœur, si elle n’eust appréhendé Jésus par foy, si elle n’eust du tout mis & appuié son espérance en Jésus, comment eust son Esprit rendu telle voix par les organes de son corps ? Or est il donc crédible que le sainct Esprit assisteoit à sa mort, ce qui n’est donné aux infidèles & reprouvés, mais aux esleus & fidèles seulement, & pource ne nous est il licite de dire :Bienheureuse est Marguerite, qui est morte au Seigneur ?

Encor vous diray je une autre chose, ô Alençonnois, qui pourra fort confirmer le sainct Esprit n’avoir failly à Marguerite. Car lors estoit Marguerite à Thusson