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DE MARGUERITE DE NAVARRE

parler ? Si ainsi le fays, oultre ce que tu manifesteras ton inhumanité, tu jugeras & condamneras aussi ton frère selon la face, qui sera contre la prohibition de Jésus-Christ. Que si tu l’as reçeu en ta maison, le congnoissant faire par la parolle, par escript, par ses mœurs, tout acte de fidèle Chrestien, le chasseras tu de ta compaignie ? Luy defenderas tu ta maison ? Luy feras tu la guerre devant qu’il ayt mis dehors l’impiété qu’il a cachée dans son cœur ? Je croy, certes, que tu ne le ferois, &, où un aultre le feroit, tu ne l’approverois. Pourquoy donc le condamnes tu en Marguerite ?

Elle estoit la plus humaine & la plus libérale femme du monde ; elle escouteoit parler tous estats & toutes nations d’hommes ; elle ne refuseoit sa maison à personne ; elle ne vouloit, quand on la prieoit de quelque chose, que celuy qui demandeoit s’en allast refusé. Est ce merveille si, entre tant de gents différents de nation, d’estat, de profession, on a veu dissimilitude de mœurs & d’opinions ? Mais toutefois elle n’en aimoit d’aultres plus affectueusement que les gents de lettre, & ceuls principalement qui à leur érudition avoient conjoinct la piété & intégrité de religion. Elle faisoit essay du sçavoir & de la doctrine de tous, mais, avec l’Apostre, elle retenoit ce qui en estoit le milleur, &, quand elle avoit examiné les esprits des hommes, elle embrasseoit d’une maternelle affection ceuls qui apparoissoient estre de Dieu. Mais ceuls qui n’estoient de Dieu, je dy ceuls desquels les faicts répugnoient à la parolle, ceuls de qui la vie estoit scandaleuse, ceuls de qui la doctrine estoit doctrine inspirée des Démons, une doctrine, impie, sacrilègue & qui deust estre dégettée, après qu’elle les avoit aigrement tencés, après que leur avoit monstre leur faulte, après que trèshumainement les avoit