Page:Marguerite de Navarre - L'heptaméron des nouvelles, 1559.pdf/99

Cette page a été validée par deux contributeurs.
41
DE LA ROYNE DE NAVARRE.

ſ’il eſtoit mené au Roy de Grenade, ou il mourroit cruellement ou renonceroit la Chreſtienté, delibera ne donner la gloire de ſa mort, ny ſa prinſe à ſes ennemis : & en baiſant la croix de ſon eſpée (rendant corps & ame à Dieu) ſ’en donna vn tel coup qu’il ne fut beſoing y retourner pour le ſecond. Ainſi mourut le pauure Amadour, autant regretté, que ſes vertus le meritoient. Les nouuelles en coururent par toutes les Eſpaignes, tant que Florinde qui eſtoit à Barſelonne, ou ſon mary auoit autresfois ordonné eſtre enterré, apres qu’elle eut faict ſes obſeques honorablement, ſans en parler à mere ny à belle mere, ſ’en alla rendre religieuſe au monaſtere de Ieſus, prenant pour mary & amy celuy qui l’auoit deliurée d’vne amour ſi vehemente que celle d’Amadour, & de l’ennuy ſi grand que de la compaignie d’vn tel mary. Ainſi tourna toutes ſes affections à aimer Dieu ſi perfaictement, qu’apres auoir veſcu longuement religieuſe, luy rendit ſon ame en telle ioye, que l’eſpouſe a d’aller veoir ſon eſpoux.

Ie ſçay bien, mes dames, que ceſte longue hiſtoire pourra eſtre à aucuns faſcheuſe, mais ſi i’euſſe voulu ſatisfaire à celuy qui me l’a comptée, elle euſt eſté trop plus que longue. Vous ſuppliant, mes dames, en prenant l’exemple de la vertu de Florinde, diminuer vn peu de ſa cruauté, & ne croire point tant de bien aux hommes, qu’il ne faille par la congnoiſſance du contraire leur donner cruelle mort, & à vous vne triſte vie. Et apres que Parlamente eut eu bonne & longue audience, elle diſt à Hircan : Vous ſemble-il pas que ceſte femme ait eſté preſſée iuſques au bout, & qu’elle ait vertueuſement reſiſté ? Non, diſt Hircan : car vne femme ne peult faire moindre reſiſtence, que de crier : & ſi elle euſt eſté en lieu ou lon ne l’euſt peu ouyr, ie ne ſçay qu’elle euſt faict. Et ſi Amadour euſt eſté plus amoureux que craintif, il n’euſt pas laiſſé pour ſi peu ſon entrepriſe. Et pour ceſt exemple ie ne me departiray pas de la forte opinion que j’ay : que oncques homme qui aimaſt parfaictement, ou qui fuſt aimé d’vne dame, ne faillit d’en auoir bonne yſſue, ſ’il a fait la pourſuitte comme il appartient. Mais encores fault-il que ie louë Amadour, de ce qu’il feit vne partie de ſon deuoir. Quel deuoir (diſt Oiſille) diſtes vous ? Appellez

l