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DE LA ROYNE DE NAVARRE.

Amadour, le laiſſa encores deuant elle parler à Florinde, pour veoir qu’elle contenance il tiendroit : à laquelle il ne tint pas grand propos, ſinon qu’il la mercia de ce qu’elle n’auoit cõfeſſé verité à ſa mere, & la pria que au moins puis qu’il eſtoit hors de ſon cueur, qu’vn autre ne tint point ſa place. Elle luy reſpondit quant au premier propos : ſi i’euſſe eu autre moyen de me defendre de vous que par la voix, elle ne l’euſt point oye, ny par moy iamais n’aurez pis ſi vous ne m’y contraignez, comme vous auez faict, & n’ayez pas peur que i’en ſceuſſe aimer d’autre. Car puis que ie n’ay trouué au cueur (que i’eſtimois le plus vertueux du mõde) le bien que ie deſirois, ie ne croiray iamais qu’il ſoit en nul homme. Et ce malheur ſera cauſe, que ie ſeray pour iamais en liberté des paſsiõs que l’amour peult donner. En ce diſant print congé de luy. La mere qui regardoit ſa contenance, n’y ſceut rien iuger : & depuis ce temps lá cogneut tresbien, que ſa fille n’auoit plus d’affection à Amadour, & pẽſa pour certain qu’elle fuſt deſraiſonnable & qu’elle hayſt toutes les choſes qu’elle aimoit. Et de ceſte heure lá luy mena la guerre ſi eſtrãge, qu’elle fut ſept ans ſans parler à elle, ſi elle ne s’y courrouſſoit, & tout à la requeſte d’Amadour. Durant ce temps lá Florinde tourna la crainte qu’elle auoit d’eſtre auec ſon mary en volonté de n’en bouger, pour fuir les rigueurs que luy tenoit ſa mere : mais voyant que rien ne luy ſeruoit, delibera de tromper Amadour : & laiſſant par vn iour ou deux ſon viſage eſtrange, luy conſeilla de tenir propos d’amitié à vne femme, qu’elle diſoit auoir parlé de leur amour. Ceſte dame demeuroit auec la Royne d’Eſpaigne & auoit nom Lorette, bien aiſe d’auoir gaigné vn tel ſeruiteur, & feit tãt de mines, que le bruit en courut par tout : & meſmes la Comteſſe d’Arande eſtant à la court s’en apperceut, parquoy depuis ne tourmentoit tant Florinde qu’elle auoit accouſtumé. Florinde ouyt vn iour dire, que le capitaine mary de Lorette eſtoit entré en telle ialouſie, qu’il auoit deliberé en quelque ſorte que ce fuſt de tuer Amadour. Florinde qui nonobſtant ſon diſsimulé viſage ne pouuoit vouloit mal à Amadour l’en aduertit incontinent. Mais luy qui facilement fut retourné à ſes briſées premieres, luy reſpõdit que s’il luy plaiſoit l’entretenir trois heures tous les jours, que iamais ne parleroit à Lorette, ce qu’elle ne voulut accorder.