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LA I. IOVRNEE DES NOVVELLES

oyant ſa fille l’appeller d’vne telle voix, eut merueilleuſement grand peur de ce qui eſtoit veritable, & courut le pluſtoſt qui luy fut poſsible en la garderobbe. Amadour qui n’eſtoit pas ſi preſt à mourir qu’il diſoit, laiſſa ſa prinſe de ſi bonne heure, que la dame ouurant ſon cabinet le trouua à la porte, & Florinde aſſez loing de luy. La Comteſſe luy demanda : Amadour qui a il ? dictes m’en la verité : & comme celuy qui iamais n’eſtoit deſpourueu d’inuention, auec vn viſage paſle & tranſi, luy diſt : Helas ! madame, de quelle condition eſt deuenuë ma dame Florinde ? ie ne fuz iamais ſi eſtonné que ie ſuis : car (comme ie vous ay dict) ie penſois auoir part en ſa bõne grace, mais ie cognois bien que ie n’y ay plus rien. Il me ſemble, ma dame, que du temps qu’elle eſtoit nourrie auec vous, elle n’eſtoit moins ſage ne vertueuſe qu’elle eſt, mais elle ne faiſoit point de conſcience de parler & regarder chacun : & maintenãt ie l’ay voulu regarder, mais elle ne l’a voulu ſouffrir : & quand i’ay veu ceſte cõtenance, penſant que ce fuſt vn ſonge ou vne reſuerie, luy ay demandé la main pour la luy baiſer à la façon du païs, ce qu’elle m’a du tout refusé. Il eſt vray, ma dame, que i’ay tort, dont ie vous demande pardon : c’eſt que ie luy ay prins la main, quaſi par force, & la luy ay baisée, ne luy demandant autre contentement : mais elle (comme ie croy) qui a deliberé ma mort, vous a appellée ainſi que vous auez ouy. Ie ne ſcaurois dire pourquoy, ſinon qu’elle eut peur que i’euſſe autre volonté que ie n’ay. Toutefois, madame, en quelque ſorte que ce ſoit, i’aduouë le tort eſtre mien : car combien qu’elle deuſt aimer tous voz bons ſeruiteurs, la fortune veult que moy ſeul, & le plus affectionné, ſois mis hors de ſa bõne grace. Si eſt ce que ie demeureray touſiours tel enuers vous & elle comme ie ſuis venu, vous ſuppliant me vouloir tenir en voſtre bonne grace, puis que ſans mon demerite i’ay perdu la ſienne. La Cõteſſe, qui en partie le croioit, & en partie en doutoit, s’en alla à ſa fille & luy demanda : pourquoy m’auez vous appellée ſi hault ? Florinde reſpondit qu’elle auoit eu peur : & combien que la Comteſſe l’interrogaſt de pluſieurs choſes par le menu, ſi eſt-ce que iamais ne luy feit autre reſponſe : car voyant qu’elle eſtoit eſchappée des mains de ſon ennemi, le tenoit aſſez puni de luy auoir rompu ſon entrepriſe. Apres que la Comteſſe eut long tẽps parlé à

Ama-