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DE LA ROYNE DE NAVARRE.

maintenant vous m’eſtimez comme ennemie, ie vous ſupplie pour l’honneſteté d’amour, que i’ay autresfois pensé en voſtre cueur, me vouloir eſcouter auant que me tourmenter. Et quãd elle veit qu’il luy preſtoit l’oreille, pourſuiuant ſon propos luy diſt : Helas ! Amadour quelle occaſion vous mene de chercher vne choſe dont vous ne ſçauriez auoir contentement, & me donner vn ennuy le plus grãd que ie ſçaurois auoir ? Vous auez tant experimenté ma volonté du temps de ma ieuneſſe, & de ma plus grande beauté, ſurquoy voſtre paſsion pouuoit prendre excuſe, que ie m’esbahis comme en l’aage & grande laideur ou ie ſuis, vous auez cueur de me vouloir tourmenter. Ie ſuis ſeure que vous ne doutez point que ma volonté ne ſoit telle quelle a accouſtumé, parquoy ne pouuez auoir que par force ce que demãdez. Et ſi vous regardez cõme mõ viſage eſt accouſtré, en oubliãt la memoire du bien que vous auez veu en moy, n’aurez point d’ẽuie d’approcher de plus pres. Et s’il y a en vous encores quelques reliques de l’amour, il eſt impoſsible que la pitié ne vaincque voſtre fureur. Et à ceſte pitié & honneſteté que i’ay tant experimentée en vous, ie fais ma plaincte, & demande grace : à fin que ſelon voſtre conſeil vous me laiſsiez viure en paix & honeſteté, ce que i’ay deliberé faire. Et ſi l’amour que vous m’auez portée eſt conuertie du tout en haine, & que plus par vengeance que par affection vous me vueillez faire la plus malheureuſe femme du mõde, ie vous aſſeure qu’il n’en ſera pas ainſi, & me cõtraindrez contre ma deliberation de declarer voſtre meſchanceté & appetit deſordonné à celle, qui croit tant de bien de vous : & en ceſte cognoiſſance penſez que voſtre vie ne ſeroit pas en ſeureté, Amadour rompant ſon propos, luy diſt : S’il me fault mourir, ie ſeray quitte de mon tourment incontinent : mais la difformité de voſtre viſage (que ie penſe eſtre faicte de voſtre volonté) ne m’empeſchera de faire la mienne : car quand ie ne pourrois auoir de vous que les oz, ſi les voudrois-ie tenir aupres de moy. Et quand Florinde veit que les prieres, raiſon, ne larmes ne luy ſeruoiẽt en riẽ, & qu’en telle cruauté pourſuiuoit ſon meſchãt deſir, qu’elle auoit touſiours euité par force d’y reſiſter, s’aida du ſecours qu’elle craignoit autant que perdre ſa vie, & d’vne voix triſte & piteuſe, appela ſa mere le plus hault qu’il luy fut poſsible. Laquelle

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