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LA I. IOVRNEE DES NOVVELLES

rinde qui n’eſtoit pas encore aſſeurée de ſa premiere peur, n’en feit ſemblant à ſa mere, mais s’en va en vn oratoire ſe recommãder à Dieu, le priant vouloir conſeruer ſon cueur de toute meſchãte affection : & penſa que ſouuẽt Amadour l’auoit louée de ſa beauté laquelle n’eſtoit point diminuée, nonobſtãt qu’elle euſt eſté longuement malade. Parquoy aimant mieux faire tort à ſa beauté en la diminuãt, que de ſouffrir par elle le cueur d’vn ſi honneſte homme bruſler d’vn ſi meſchant feu, prit vne pierre qui eſtoit dedans la chappelle, & s’en donna par le viſage ſi grand coup, que la bouche, & les yeux, & le nez en eſtoient tous difformes. Et à fin que l’on ne ſoupçõnaſt qu’elle l’euſt faict quand la Comteſſe l’enuoya querir, ſe laiſſa tumber en ſortant de la chapelle le viſage ſur vne groſſe pierre, & en criant bien hault, arriua la Comteſſe qui la trouua en ce piteux eſtat. Incontinẽt fut penſée, & ſon viſage bandé : ce faict la Cõteſſe la mena en ſa chambre, & la pria d’aller en ſon cabinet entretenir Amadour, iuſques à ce qu’elle ſe fuſt deffaicte de ſa cõpagnie : ce que elle feit, pẽſant qu’il y euſt quelques gens auec luy : mais ſe trouuant toute ſeule, la porte fermée ſur elle, fut autãt marrie qu’Amadour content, penſant que par amour ou par force, il auroit ce que tant auoit deſiré. Et apres auoir vn peu parlé à elle, & l’auoir trouuée au meſme propos auquel il l’auoit laiſſée, & que pour mourir elle ne changeroit ſon opinion, luy diſt tout outré de deſeſpoir : Pardieu, madame, le fruit de mon labeur ne me ſera point oſté pour ſcrupules : & puis qu’amour, patience, & humbles prieres ny ſeruent de rien, ie n’eſpargneray point ma force pour acquerir le bien, qui ſans l’auoir me la feroit perdre, Quand Florinde veit ſon viſage & ſes yeux tant alterez, que le plus beau teinct du monde eſtoit rouge comme feu, & le plus doux & plaiſant regard ſi horrible & furieux, qu’il ſembloit qu’vn feu treſardent eſtincelaſt dedans ſon cueur & viſage : & qu’en ceſte fureur d’vne de ſes fortes mains print ſes deux foibles & delicates, & d’autre part voyant que toutes deffences luy failloient, & que ſes pieds & mains eſtoiẽt tenuz en telle captiuité, qu’elle ne pouuoit fuir ne ſe deffendre, ne ſceut quel remede trouuer, ſinon chercher s’il y auoit point en luy encores quelque racine de la primiere amour, pour l’honneur de laquelle il oubliaſt ſa cruauté, par quoy elle luy diſt : Amadour, ſi

mainte-