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DE LA ROYNE DE NAVARRE.

qu’il auoit au cueur. Ainſi paſſa Amadour trois ou quatre années ſans reuenir à la court. Et la Comteſſe d’Arande qui ouyt dire que Florinde eſtoit ſi fort changée que c’eſtoit pitié, l’enuoya querir, eſperant qu’elle reuiendroit au pres d’elle, mais ce fut tout le contraire. Car quand Florinde entendit qu’Amadour auoit declaré à ſa mere leur amitié, & que ſa mere tant ſage & vertueuſe, ſe cõfiant à Amadour l’auoit trouuée bõne, fut en vne merueilleuſe perplexité : pource q̃ d’vn coſté elle voioit ſa mere, l’eſtimer tãt que ſi elle luy diſoit la verité, amadour en pourroit receuoir quelque deſplaiſir, ce que pour mourir n’euſt voulu : car elle ſe ſentoit aſſez forte pour le punir de ſa follie, ſans ſ’aider de ſes parens. D’autre coſté elle voyoit qu’en diſsimulãt le mal qu’elle y ſçauoit, qu’elle ſeroit cõtraincte de ſa mere & de ſes amis de parler à luy, & de luy faire bonne chere, par laquelle elle craignoit fortifier ſa mauuaiſe opinion. Mais voyant qu’il eſtoit loing n’en feit grand ſemblant, & luy eſcriuoit quand la Comteſſe le luy commandoit, mais c’eſtoient lettres qu’il pouuoit bien congnoiſtre venir plus d’obeiſſance que de bonne volonté, dont il eſtoit ennuyé en les liſant, au lieu qu’il auoit acouſtumé de ſe reſiouïr des premieres. Au bout de deux ou trois ans apres auoir faict de tant belles choſes, que tout le papier d’Eſpaigne ne les ſçauroit contenir, imagina vne inuention treſgrande, non pour gaigner le cueur de Florinde (car il le tenoit pour perdu) mais pour auoir la victoire de ſon ennemie puis que telle ſe faiſoit contre luy, il meit arriere tout le conſeil de raiſon, & meſmes la peur de la mort, au hazard de laquelle il ſe mettoit. Sa pensée coclue & deliberée, feit tant enuers le grand gouuerneur, qu’il fut par luy deputé pour venir parler au Roy de quelques entreprinſes qui ſe faiſoient ſur Locate, & ſe hazarda de communiquer ſon entrepriſe à la Comteſſe d’Arande auant que la declarer au Roy, pour en prendre ſon bon conſeil, & vint en poſte tout droict en la comté d’Arande, ou il ſçauoit que Florinde eſtoit & enuoya ſecrettement à la Cõteſſe vn ſien amy luy declarer ſa venuë, la priant la tenir ſecrette, & qu’il peuſt parler à elle la nuict ſans que perſonne en ſceuſt rien. La Comteſſe fort ioyeuſe de ſa venuë, le diſt à Florinde & l’enuoya deshabiller en la chãbre de ſon mary, à fin qu’elle fuſt preſte quand elle la manderoit, & que chacun fuſt retiré. Flo-