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DE LA ROYNE DE NAVARRE.

mon honneur & ma conſcience que ma propre vie. Sur ceſte pierre d’honneſteté, i’eſtois venuë icy, deliberée de prendre vn treſſeur fondement, mais Amadour, en vn moment m’auez monſtré, qu’en lieu d’vne pierre nette & pure, le fondement de ceſt edifice eſt aſsis ſur vn ſablon leger & mouuant, ou ſur la fange molle & infame. Et combien que i’euſſe deſia commẽcé grande partie du logis, ou i’eſperois faire perpetuelle demeure, ſoudain du tout l’auez ruiné. Parquoy vous fault quant & quant rompre l’eſperance que vous auez iamais euë en moy, & vous deliberer qu’en quelque lieu que ie ſois ne me chercher, ne par parolle, ne par contenance. Et n’eſperez que ie puiſſe ou vueille iamais changer mon opinion. Ie le vous dy auec tel regret, qu’il ne peult eſtre plus grand : mais ſi ie fuſſe venuë iuſques à auoir iuré parfaicte amitié auec vous, ie ſents bien mon cueur tel qu’il fuſt mort en telle rompure : combien que l’eſtonnement que i’ay d’eſtre deceuë eſt ſi grand, que ie ſuis ſeure qu’il rendra ma vie ou briefue ou douloureuſe. Et ſur ce mot, ie vous dy à Dieu, & c’eſt pour iamais. Ie n’entreprends point de vous dire la douleur que ſentoit Amadour, eſcoutant ces parolles : car non ſeulemẽt euſt eſté impoſsible de l’eſcrire, mais de la penſer, ſinon à ceulx qui ont experimenté la pareille. Et voyant que ſur ceſte cruelle concluſion elle ſ’en alloit, l’arreſta par le bras, ſçachant tresbien que ſ’il ne luy oſtoit la mauuaiſe opinion qu’il luy auoit donnée, qu’à iamais il l’a perdroit. Parquoy il luy diſt, auec le plus feinct viſage qu’il peut prendre : Madame, i’ay toute ma vie deſiré d’aimer vne femme de bien, & pource que i’en ay trouué ſi peu, i’ay bien voulu experimenter pour veoir ſi vous eſtiez par voſtre vertu, digne d’eſtre autant eſtimée que aimée. Ce que maintenant ie ſçay pour certain, dont ie loue Dieu, qui adreſſa mon cueur à aimer tant de perfection : vous ſuppliant me pardonner ceſte folle & audacieuſe entreprinſe, puis que vous voyez que la fin en tourne à voſtre honneur, & à mon grand contentement. Florinde qui commençoit à congnoiſtre la malice des hommes par luy, tout ainsi qu’elle auoit eſté difficile à croire le mal ou il eſtoit, auſsi fut elle encores plus à croire le bien ou il n’eſtoit pas, & luy diſt : Pleuſt à Dieu, que vous diſsiez verité : mais ie ne puis eſtre ſi ignorante que l’eſtat de mariage ou ie ſuis, ne me face bien co-

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