Page:Marguerite de Navarre - L'heptaméron des nouvelles, 1559.pdf/88

Cette page a été validée par deux contributeurs.
LA I. IOVRNEE DES NOVVELLES

parens & amis, mais encores le print plus mal en gré Amadour : car d’vn coſté il perdoit l’vne des plus femmes de bien qui oncques fut : & de l’autre le moyen de jamais pouuoir reueoir Florinde, dont il tomba en telle maladie, qu’il cuida ſoudainemẽt mourir. La vieille Ducheſſe de Cardonne inceſſamment le viſitoit, & luy alleguoit des raiſons de philoſophie, pour luy faire porter patiemment ceſte mort, mais rien n’y ſeruoit : car ſi la mort d’vn coſté le tourmentoit, l’amour de l’autre coſté augmẽtoit ſon martire. Voyant Amadour que ſa femme eſtoit enterrée, & que ſon maiſtre le mandoit (parquoy il n’auoit nulle occaſion de demeurer) eut tel deſeſpoir en ſon cueur, qu’il cuida perdre l’entendemẽt. Florinde qui en le conſolant eſtoit en deſolation, fut toute vne apres diſnée à luy venir les plus honeſtes propos qu’il luy fut poſsible, pour luy cuider diminuer la grandeur de ſon dueil, l’aſſeurãt qu’elle trouueroit moyen de le pouuoir reueoir plus ſouuẽt qu’il ne cuidoit. Et pource qu’il deuoit partir le matin, & qu’il eſtoit ſi foible qu’il ne pouuoit bouger de deſſus ſon lict, la ſupplia de le venir veoir au ſoir apres que chacun y auroit eſté : ce qu’elle luy promiſt ; ignorãt que l’extremité d’amour ne congnoiſt nulle raiſon. Et luy qui ne veoit aucune eſperãce de iamais pouuoir reueoir celle que ſi longuement auoit ſeruie, & ne qui iamais n’auoit en autre traictemẽt que celuy qu’auez ouy, fut tãt combatu de l’amour lõguement diſsimulé, & du deſeſpoir qu’elle luy monſtroit (tous moyens de la hanter perduz) ſe delibera de iouer à quitte & à double, ou du tout la perdre, ou du tout la gaigner, & ſe payer en vne heure du bien qu’il penſoit auoir merité. Il feit bien encourtiner ſon lict, de ſorte que ceux qui venoient en la chambre ne l’euſſent ſceu veoir, & ſe plaignoit beaucoup plus que de couſtume, tant que tous ceux de la maiſon ne penſoient pas qu’il deuſt viure vingt & quatre heures. Apres que chacun l’eut viſité au ſoir Florinde (à la requeſte meſmes de ſon mary) y alla eſperant pour le conſoler luy declarer ſon aſſection, & que du tout elle le vouloit aimer autant que l’honneur le peuſt permettre. Et elle aſsiſe en vne chaiſe, qui eſtoit au cheuet du lict dudict Amadour lá commença ſon reconfort par plorer auecques luy. Amadour la voyant rẽplie de tels dueils & regrets, penſa qu’en ce grand tourment pourroit plus facilement venir à la fin de

ſon