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LA I. IOVRNEE DES NOVVELLES

mis, dont elle ſ’en acquita ſi diligemment, qu’Amadour n’eut point faulte de la conſolation de ſes lettres & epiſtres. Or fut mandée la Cõteſſe d’Arande pour aller à Sarragoſſe ou le Roy eſtoit arriué : & lá ſe trouua le ieune Duc de Cardonne, qui feit ſi grande pourſuitte enuers le Roy & la Royne, qu’ils prierent la Comteſſe de faire le mariage de luy & de ſa fille. La Cõteſſe comme celle qui ne leur vouloit en rien deſobeir l’accorda, eſtimant que ſa fille fort ieune n’auoir volõté que la ſienne. Quãd tout l’accord fut faict, elle diſt à ſa fille comme elle luy auoit choiſi le parti qui luy ſembloit le plus neceſſaire. La fille voyant qu’en vne choſe faicte, ne falloit plus de conſeil, luy diſt, que Dieu fuſt loué de tout, & voyant ſa mere ſi eſtrãge enuers elle, aima mieux luy obeir que d’auoir pitié de ſoymeſmes. Et pour la reſiouïr de tãt de malheur, entẽdit que l’ẽfant fortuné eſtoit malade à la mort, mais iamais deuant ſa mere ne nul autre en feiſt vn ſeul ſemblãt, & ſe contraignit ſi bien que les larmes par force retirées en ſon cueur, feirent faillir le ſang par le nez, en telle abondance que la vie fut en danger de ſ’en aller quant & quant : & pour la reſtaurer eſpouſa celuy qu’elle euſt bien voulu changer à la mort. Apres ces nopces faictes, s’en alla Florinde auec ſon mary en la Duché de Cardonne, & mena auec elle Auenturade, à laquelle elle faiſoit priuéement ſes complainctes, tant de la rigueur que ſa mere luy auoit tenuë, que du regret d’auoir perdu le fils de l’ẽfant fortuné, mais du regret d’Amadour ne luy parloit que par maniere de la conſoler. Ceſte ieune dame doncques ſe delibera de mettre Dieu & l’honneur deuant ſes yeux, & de diſsimuler ſi bien ſes ennuyz, que iamais nul des ſiens ne s’apperceut que ſon mary luy deſpleuſt. Ainſi paſſa vn lõg tẽps Florinde, viuãt d’vne vie nõ moins belle que la mort : ce qu’elle ne faillit à mander à ſon bon ſeruiteur Amadour, lequel cognoiſſant ſon grãd & honeſte cueur, & l’amour qu’elle portoit à l’enfant fortuné, penſa qu’il eſtoit impoſsible qu’elle ſceuſt viure longuemẽt, & la regretra comme celle qu’il tenoit pis que morte. Et ceſte peine augmenta ce qu’il auoit, & eut voulu demeurer toute ſa vie eſclaue comme il eſtoit, & que Florinde euſt eu vn mary ſelon ſon deſir, oubliãt ſon mal pour celuy qu’il ſentoit que portoit s’amie. Et pource qu’il entendit par vn amy, qu’il auoit acquis en la court du Roy de Thunis,

que le