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LA I. IOVRNEE DES NOVVELLES

lieu qu’elle fuſt mariée, ſa femme Auenturade iroit. Et combien qu’il fuſt queſtion de marier Florinde en Portugal, ſi eſtoit il deliberé que ſa femme ne l’abandõneroit iamais : & ſur ceſte aſſeurance (non ſans regret indicible) s’en partit Amadour, & laiſſa ſa femme auec la Cõteſſe. Quand Florinde ſe trouua ſeule apres le departement de ſon ſeruiteur, elle ſe meit à faire toutes choſes ſi bonnes & vertueuſes, qu’elle eſperoit par cela attaindre le bruit des plus parfaictes dames, & d’eſtre reputée digne d’auoir vn tel ſeruiteur. Amadour eſtant arriué à Barſelonne, fut feſtoyé des dames, cõme il auoit accouſtumé : mais le trouuerẽt tant changé qu’ils n’euſſent iamais pensé que mariage euſt telle puiſſance ſur vn homme, comme il auoit ſur luy, car il ſembloit qu’il ſe faſchaſt, de veoir les choſes qu’autresfois auoit deſirées : & meſme la Comteſſe de Palamons (qu’il auoit tant aimée) ne ſceuſt trouuer moyen de le faire ſeulement aller iuſques à ſon logis. Amadour arreſta à Barſelonne le moins qu’il luy fut poſsible, comme celuy à qui l’heure tardoit d’eſtre au lieu ou l’honneur ſe peult acquerir. Et luy arriué à Saulce commença la guerre grande & cruelle entre les deux Roys, laquelle ne ſuis deliberée de racõpter, n’auſsi les beaux faicts que y feiſt Amadour : car au lieu de compte, faudroit faire vn bien grãd liure. Et ſçachez qu’il emportoit le bruit par deſſus tous ſes compaignons. Le Duc de Nagyeres arriua à Perpignan ayant charge de deux mil hommes, & pria Amadour d’eſtre ſon lieutenant, lequel auec ceſte bande feit tant bien ſon deuoir que lon n’oyoit en toutes les eſcarmouches crier autre que Nagyeres. Or aduint que le Roy de Thunis, qui de long temps faiſoit la guerre aux Eſpaignols, entẽdãt comme les Roys d’Eſpaigne & de France faiſoient guerre l’vn contre l’autre ſur les frontieres de Perpignan & Narbonne, penſa qu’en meilleure ſaiſon ne pouuoit faire deſplaiſir au Roy d’Eſpaigne, & enuoya vn grand nombre de fuſtes & autres vaiſſeaux pour piller & deſtruire ce qu’ils pourroient trouuer mal gardé ſur les frontieres d’Eſpaigne. Ceux de Barſelonne voyant paſſer deuant eux vne grande quantité de voilles, en aduertirent le Roy qui eſtoit à Saulce, lequel incontinent enuoya le Duc de Nagyeres à Palamons. Et quãd les nauires cogneurẽt que le lieu eſtoit ſi biẽ gardé, feignirẽt de paſſer outre, mais ſur l’heure de minuict retour-

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