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LA I. IOVRNEE DES NOVVELLES

nance : & quand venez parler à moy deuant elle, ainſi priuéement, i’ay ſi grand peur de faire quelque ſigne, ou elle fonde iugement que ie tombe en l’inconuenient dont ie me veux garder : en ſorte que i’ay penſé vous ſupplier que deuant elle, & celles que vous congnoiſſez ainſi malicieuſes, vous ne veniez parler à moy ainſi ſoudainement, car i’aimerois mieux eſtre mort, que creature viuãte en euſt la cognoiſſance. Et n’euſt eſté l’amour que i’ay à voſtre hõneur, ie n’auois point encores deliberé de vous tenir tels propos, car ie me tiens aſſez heureux & content de l’amour & fiance que me portez ou ie ne demande rien d’aduantage que la perſeuerance. Florinde tant cõtente qu’elle n’en pouuoit plus porter, commẽça ſentir en ſon cueur quelque choſe plus qu’elle n’auoit acouſtumé, & voyãt les honeſtes raiſons qu’il luy alleguoit, luy diſt que la vertu & honeſteté reſpondoient pour elle, & luy accordoiẽt ce qu’il demandoit. Dont ſi Amadour fut ioyeux, nul qui aime n’en peult douter : mais Florinde creut trop plus ſon conſeil qu’il ne vouloit. Car elle qui eſtoit craintifue, non ſeulement deuant Pauline, mais en tous autres lieux, commença à ne le chercher plus, comme auoit couſtume : & en ceſt eſlongnement trouua mauuaiſe la frequentation qu’Amadour auoit auec Pauline, laquelle elle trouua tant belle, qu’elle ne pouuoit croire qu’il ne l’aimaſt. Et pour paſſer ſa triſteſſe, entretenoit touſiours Auenturade, laquelle commença fort à eſtre ialouſe de ſon mary & de Pauline, & s’en complaignoit ſouuent à Florinde, qui la conſoloit le mieux qu’il eſtoit poſsible, cõme celle qui eſtoit frappée d’vne meſme peſte. Amadour s’apperceuant bien toſt de la contenãce de Florinde, & non ſeulement penſa qu’elle s’eſlongnoit de luy par ſon conſeil, mais qu’il y auoit quelque faſcheuſe opinion meſlée. Et vn iour en venant de veſpres d’vn monaſtere, il luy diſt : Ma dame, quelle contenance me faictes vous ? Telle que ie penſe que vous voulez, reſpõd Florinde. A l’heure ſoupçonnãt la verité, pour ſauoir s’il eſtoit vray, va dire : Ma dame, i’ay tant faict par mes iournées, que Pauline n’a plus d’opinion de vous. Elle luy reſpond, vous ne ſçauriez mieux faire pour vous & pour moy, car en faiſant plaiſir à vous meſmes, vous me faictes honneur. Amadour iugea par ceſte parolle qu’elle eſtimoit qu’il prenoit plaiſir à parler à Pauline, dont il

fut ſi