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DE LA ROYNE DE NAVARRE.

tout voſtre, ie delibere de laiſſer les armes, & renoncer à la vertu qui ne m’aura ſecouru au beſoing. Parquoy, ma dame, ie vous ſupplie que ma iuſte requeſte me ſoit octroyée, puis que voſtre hõneur & cõſcience ne me la peuuent refuſer. La ieune dame oyant vn propos non accouſtumé, commence à changer couleur, & baiſſer les yeux comme femme eſtonnée : toutesfois elle qui eſtoit ſage luy diſt : Puis qu’ainſi eſt Amadour, que vous ne demandez de moy que ce qu’en auez, pourquoy eſt ce que vous me faictes vne ſi longue harangue ? I’ay ſi grand peur que ſoubs voz honneſtes propos il y ait quelque malice cachée, pour deceuoir l’ignorance ioincte auec ma ieuneſſe, que ie ſuis en grande perplexité de vous reſpondre. Car de refuſer l’honneſte amitié que vous m’offrez, ie ferois le contraire de ce que i’ay faict iuſques icy, qui me ſuis plus fiée en vous, qu’en tous les hommes du monde. Ma conſcience ne mon honneur ne contreuiennẽt point à voſtre demande, n’y à l’amour que ie porte au fils de l’enfant fortuné, car il eſt fondé ſur mariage, ou vous ne pretendez rien. Ie ne ſçache choſe qui me doiue empeſcher de vous faire reſponſe, ſelon voſtre dire, ſinon vne crainte que i’ay en mon cueur, fondée ſur le peu d’occaſion que vous auez de tenir tels propos. Car ſi vous auez ce que vous demandez, qui vous contrainct d’en parler ſi affectueuſement ? Amadour qui n’eſtoit ſans reſponſe, luy diſt : Ma dame, vous parlez treſprudemment, & me faictes tant d’honneur de la fiance que dictes auoir en moy, que ſi ie ne me contente d’vn tel bien, ie ſuis indigne de tous les autres. Mais entendez, ma dame, que celuy qui veult baſtir vn edifice perpetuel, doit regarder vn ſeur & ferme fondement : parquoy moy qui deſire perpetuellement demeurer en voſtre ſeruice, ie regarde, non ſeulement les moyens de me tenir pres de vous, mais auſsi d’empeſcher que lon ne puiſſe congnoiſtre la grande affection que ie vous porte. Car combien qu’elle ſoit tant honeſte qu’elle ſe puiſſe preſcher par tout, ſi eſt-ce que ceux qui ignorent le cueur des amãs, ſouuent iugent contre verité. Et de lá vient autant de mauuais bruit, que ſi les effects eſtoient meſchans. Ce qui m’a faict aduancer de le vous dire & declarer, c’eſt Pauline, laquelle a prins vn tel ſoupçon ſur moy, ſentant biẽ en ſon cueur, que ne la puis aimer, qu’elle ne faict en tous lieux qu’eſpier ma conte-