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LA I. IOVRNEE DES NOVVELLES

ie le hazard d’auancer le fruict qu’auec le temps i’eſperois cueillir, à fin que les ennemis de vous & moy, n’en puiſſent faire leur profit de voſtre dommage. Entendez, ma dame, que des l’heure de voſtre grande ieuneſſe ſuis tellement dedié à voſtre ſeruice, que ne ceſſe de chercher les moyens d’acquerir voſtre bonne grace, & pour ceſte occaſion m’eſtois marié à celle que penſois que vous aimiez le mieux. Et ſçachant l’amour que vous portez au fils de l’enfant fortuné, ay mis peine de le ſeruir & hanter, comme vous auez veu, & tout ce que i’ay pensé vous plaire, ie l’ay cherché de tout mon pouuoir. Vous voyez que i’ay acquis la grace de la Comteſſe voſtre mere, du Cõte voſtre frere, & de tous ceux que vous aimez, tellement que ie ſuis tenu en ceſte maiſon, non comme vn ſeruiteur mais comme enfant, & tout le trauail que i’ay pris, il y a cinq ans n’a eſté que pour viure toute ma vie auec vous. Et entendez que ne ſuis point de ceux qui pretendent par ce moyen auoir de vous ne bien ne plaiſir autre que vertueux. Ie ſçay que ie ne vous puis iamais eſpouſer, & quand ie le pourrois, ie ne voudrois contre l’amour que vous portez à celuy que ie deſire vous veoir pour mary. Auſsi de vous aimer d’vn amour vicieux, comme ceux qui eſperent de leur long ſeruice recompenſe au deshonneur des dames, ie ſuis ſi loing de ceſte affectiõ, que i’aimerois mieux vous veoir morte, que de vous ſçauoir moins digne d’eſtre aimée, & que la vertu fuſt amoindrie en vous, pour quelque plaiſir qui m’en ſceuſt aduenir. Ie ne pretends pour la fin & recõpenſe de mon ſeruice, qu’vne choſe, c’eſt que me vouliez eſtre maiſtreſſe ſi loyalle, que iamais vous ne m’eſlõgnez de voſtre bõne grace, que vous me conteniez au degré ou ie ſuis, vous fiant en moy plus qu’en nul autre, prenant ceſte ſeureté de moy, que ſi pour voſtre honneur ou choſe qui vous touchaſt, vous auiez beſoing de la vie d’vn gentil-homme, la mienne y ſera de tres-bon cueur employée, & en pouuez faire eſtat. Pareillement que toutes les choſes honneſtes & vertueuſes, que iamais ie feray, ſeront faictes ſeulement pour l’amour de vous. Et ſi i’ay faict pour dames, moindres que vous, choſe dont lon ait faict eſtime, ſoyez ſeure, que pour vne telle maiſtreſſe mes entrepriſes croiſtront, de ſorte que les choſes que ie trouuois difficiles, & impoſsibles, me ſeront faciles : mais ſi ne m’acceptez pour du

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