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DE LA ROYNE DE NAVARRE.

autres luy diſt qu’elle auoit grãd pitié de luy, veu qu’apres tant de bonnes fortunes il auoit eſpouſé vne femme ſi laide que la ſienne. Amadour entendant bien par ces paroles qu’elle auoit enuie de remedier à ſa neceſsité, luy tint les meilleurs propos qu’il luy fut poſsible, penſant qu’en luy faiſant croire vne menſonge, il luy couuriroit vne verité. Mais elle fine & experimẽtée en amour, ne ſe contẽta point de parler : mais ſentant tresbien que ſon cueur n’eſtoit point ſatisfaict de ſon amour, ſe douta qu’il ne la vouluſt faire ſeruir de couuerture : & pour ceſte occaſion le regardant de ſi pres qu’elle auoit touſiours le regard à ſes yeux, qu’il ſçauoit ſi bien feindre qu’elle n’en pouuoit rien iuger, ſinon par obſcur ſoupçon, mais ce n’eſtoit ſans grande peine au gentil-hõme. Auquel Florinde (ignorãt toutes ſes malices) s’adreſſoit ſouuẽt deuant Pauline ſi priuément qu’il auoit vne merueilleuſe peine à contraindre ſon regard contre ſon cueur : & pour euiter qu’il n’en vint inconuenient, vn iour parlant à Florinde appuyez tous deux ſur vne feneſtre, luy tint tels propos : Madame, ie vous prie me vouloir cõſeiller lequel vault le mieux ou parler ou mourir. Florinde luy reſpõdit promptement : Ie conſeilleray touſiours à mes amis de parler & non de mourir, car il y a peu de parolles qui ne ſe puiſſent amender, mais la vie perduë ne ſe peut recouurer. Vous me promettez donques, diſt Amadour, que non ſeulemẽt vous ne ſerez marrie des propos que ie vous veux dire, mais ny eſtonnée iuſques à ce que vous en entendez la fin. Elle luy reſpondit, dictes ce qu’il vous plaira, car ſi vous m’eſtõnez nul autre ne m’aſſeurera, lors luy commença à dire : Ma dame, ie ne vous ay voulu encores dire la treſgrande affection que ie vous porte, pour deux raiſons : L’vne, parce que i’attendois par long ſeruice vous en donner l’experience. L’autre parce que ie doubtois que penſeriez vne grande outrecuidance en moy (qui ſuis vn ſimple gentil-homme) de m’adreſſer en lieu qui ne m’appartiẽt de regarder : & encores que ie fuſſe prince, comme vous, la loyauté de voſtre cueur ne permettroit qu’autre que celuy qui en a prins poſſeſsion (fils de l’enfant fortunė) vous tienne propos d’amitié. Mais, ma dame, tout ainſi que la neceſsité en vne forte guerre contrainct faire degaſt du propre bien, & ruiner le bled en herbe, à fin que l’ennemi n’en puiſſe faire ſon profit, ainſi prẽds-

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