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LA I. IOVRNEE DES NOVVELLES

ſoit rien Florinde, ſinon qu’elle l’aimoit cõme s’il euſt eſté ſon frere : pluſieurs fois alla & vint Amadour, en ſorte qu’en cinq ans ne veid Florinde deux mois durant : & toutesfois l’amour en deſpit de l’eſlongnement, & de la longue abſence, ne laiſſoit pas de croiſtre. Or aduint qu’il feit vn voyage pour venir veoir ſa femme, & trouua la Cõteſſe biẽ loing de la court, car le Roy d’Eſpaigne s’en eſtoit allé à Vãdelonſie, & auoit mené auec luy le ieune Comte d’Arande, qui deſia cõmençoit à porter armes. La Comteſſe s’eſtoit retirée en vne maiſon de plaiſance qu’elle auoit ſur la frõtiere d’Arragon & Nauarre, & fut fort aiſe quãd elle veid venir Amadour, lequel pres de trois ans auoit eſté abſent. Il fut bien receu d’vn chacun, & commanda la Comteſſe qu’il fuſt traicté comme ſon propre fils. Tandis qu’il fut auec elle, elle luy communiqua toutes les affaires de ſa maiſon, & en remettoit la plus part à ſon opinion, & gaigna vn ſi grand credit en ceſte maiſon, qu’en tous lieux ou il vouloit, on luy ouuroit la porte, eſtimant ſa preud’homie ſi grande, qu’on ſe fioit en luy de toutes choſes, comme à vn ſainct ou vn Ange. Florinde pour l’amitié qu’elle portoit à ſa femme & à luy le cheriſſoit en tous lieux ou elle le voyoit, ſans rien cognoiſtre de ſon intẽtion : parquoy elle ne ſe gardoit d’aucune contenãce, pource que ſon cueur ne ſouffroit point de paſsion, ſinon qu’elle ſentoit vn grand contentement quand elle eſtoit aupres d’Amadour : mais autre choſe n’y penſoit. Amadour pour euiter le iugement de ceux, qui ont experimenté la difference du regard des amans au pris des autres, fut en grand peine. Car quand Florinde venoit parler à luy priuéement (comme celle qui ne pẽſoit nul mal) le feu caché en ſon cueur le bruſloit ſi fort, qu’il ne pouuoit empeſcher que la couleur n’en demeuraſt au viſage, & que les eſtincelles ne ſailliſſent par les yeux. Et à fin que par lõgue frequentation, nul ne ſ’en peuſt apperceuoir, ſe meit à entretenir vne fort belle dame nommée Pauline, femme qui en ſon temps fut eſtimée ſi belle que peu d’hõmes qui la voyoient eſchappoient de ſes liens. Ceſte Pauline ayant entendu comme Amadour auoit mené l’amour à Barſelonne & Perpignan, en ſorte qu’il eſtoit aimé des plus belles & honneſtes dames du païs, & ſur toutes d’vne Comteſſe de Pallamõs qu’on eſtimoit en beauté la premiere de toutes les Eſpaignes, & de pluſieurs

autres,