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DE LA ROYNE DE NAVARRE.

d’Arande, qui commença à croiſtre, & en croiſſant à aimer les gens vertueux. Et quand le mariage fut accordé entre les parẽs, ledict maiordomo enuoya querir ſon frere, tandis que les trefues durerẽt entre les deux Roys. Durant ce temps, le Roy d’Eſpaigne ſe retira à Madric, pour euiter le mauuais air, qui eſtoit en pluſieurs lieux : & par l’aduis de pluſieurs de ſon conſeil, à la requeſte auſsi de la Comteſſe d’Arande feit le mariage de l’heritiere Ducheſſe de Medmaceli auec le petit Comte d’Arande, tãt pour le bien & vnion de leur maiſon, que pour l’amour qu’il portoit à la Comteſſe d’Arande, & voulut faire ces nopces au chaſteau de Madric. A ces nopces ſe trouua Amadour, qui pourchaſſa ſi biẽ les ſiennes, qu’il eſpouſa celle dont il eſtoit plus aimé qu’il n’aimoit, ſinon que le mariage luy eſtoit couuerture & moyen de hanter le lieu ou ſon eſprit demouroit inceſſammẽt. Apres qu’il fut marié, print telle hardieſſe & priuauté en la maiſon de la Comteſſe d’Arande, que lon ne ſe gardoit de luy non plus que d’vne femme. Et cõbien qu’alors n’euſt que vingtdeux ans, ſi eſtoit il ſi ſage, que la Comteſſe luy cõmuniquoit toutes ſes affaires, & cõmandoit à ſon fils & à ſa fille de l’entretenir, & croire ce qu’il leur cõſeilleroit. Ayant gaigné le poinct de ſi grãde eſtime ſe conduiſoit ſi ſagement & finement, que meſmes celle qu’il aimoit ne cognoiſſoit point ſon affection : mais pour l’amour de la femme dudict Amadour, qu’elle aimoit plus que nulle autre, elle eſtoit ſi priuée de luy, qu’elle ne luy diſsimuloit choſe qu’elle penſaſt : & gaigna ce poinct qu’elle luy declara toute l’amour qu’elle portoit au fils de l’enfant fortuné, & luy qui ne taſchoit qu’à la gaigner entieremẽt, luy en parloit inceſſammẽt, car il ne luy challoit de quelpropos il luy parlaſt, mais qu’il euſt moyen de l’entretenir longuement. Il ne demeura pas vn mois à la cõpaignie apres ſes nopces, qu’il ne fuſt contrainct de retourner à la guerre, ou il demeura plus de deux ans, ſans reuenir veoir ſa femme, laquelle ſe tenoit touſiours ou elle auoit eſté nourrie. Durant ce temps eſcriuoit ſouuent Amadour à ſa femme, mais le plus fort de ſa lettre eſtoit des recõmendations à Florinde, qui de ſon coſté ne failloit à les luy rendre, & mettoit ſouuẽt quelque bon mot de ſa main en la lettre qu’Auenturade eſcriuoit, qui eſtoit occaſion de rendre ſon mary treſſoigneux à luy reſcrire ſouuent : mais en tout cecy ne cognoiſ-

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